Pour son premier long-métrage depuis le drame dans l’espace Gravity (2013), qui avait gagné pas moins de sept Oscars, Alfonso Cuarón revient sur terre et nous plonge dans le Mexico du début des années 1970 pour nous raconter l’histoire de Cleo (Yalitza Aparicio), une jeune femme d’origine mixtèque, employée comme bonne dans la famille d’un médecin.
L’ambition esthétique du film en noir et blanc aux caractéristiques néo-réalistes s’annonce dès le premier plan : un carrelage en losange, le bruit d’un balai, puis quelques secondes après, l’eau du lavage qui envahit le cadre, nous révélant dans son reflet l’ouverture de cette petite cour intérieure vers le ciel avec un avion qui passe. Cette maîtrise absolue de l’image s’étendra sur les deux heures et quinze minutes du film qui nous montre Cleo tantôt comme nounou respectée comblant aussi le vide affectif dans la maison, tantôt comme domestique devant retenir tous les soirs le chien au collier pendant que le docteur passe son immense voiture par l’entrée du garage presque trop petite.
L’ambiguïté de cette vie lui semble tolérable aussi longtemps que Cleo peut se détendre pendant les petites sorties avec sa collègue Adela (Nancy Garcia Garcia). Mais les choses se compliquent lorsqu’elle tombe enceinte de son premier petit ami, Fermin (Jorge Antonio Guerrero).
Aussi alléchante que la mise en scène magistrale d’Alfonso Cuarón avec ses plans séquences complexes, puisse être, elle agit par moment contre sa propre intention. La lenteur de la contemplation nous permet certes de vivre les taquineries des enfants et les problèmes relationnels des maîtres de maison comme un visiteur assis sur leur canapé, mais le côté chorégraphique et la distance physique des acteurs à la caméra nous empêchent souvent d’accrocher réellement à leurs émotions. Cette manière néo-réaliste de ne pas dramatiser les événements davantage fonctionne très bien dans une séquence pendant laquelle un des enfants de la maison et son cousin courent à travers la ville et croient entre-apercevoir le père avec une autre femme. Le moment n’est pas approfondi avec des gros plans et cela suffit, justement parce qu’il s’agit de semer le doute. Lorsque l’on reste pourtant pendant quelques minutes avec un personnage souffrant, cette distance crée un vide d’immersion et d’empathie, qui réduit certaines séquences à l’exercice de style de très haut niveau.
Lorsque l’on sort avec les protagonistes de Roma, le quartier huppé de Mexico, qui donne aussi son titre au film, Alfonso Cuarón ouvre son scénario vers un fond historique. Fermin, le copain de Cleo, qui refuse sa paternité, s’avère également faire partie de l’escadron co-responsable du massacre de Corpus Christi, dans lequel plus de cent étudiants trouveront la mort. Ainsi les rouages de la grande et de la petite histoire s’imbriquent parfaitement dans le scénario écrit par le réalisateur. La grande force du film est sa façon de placer sa protagoniste dans le rôle de témoin, celui d’une famille bourgeoise dysfonctionnelle et celui de grandes luttes politiques, tout en racontant son histoire à elle. L’empathie pour les personnages se fait toutefois attendre jusqu’à la toute fin.
Nominé pour dix statuettes, dont celle de la meilleure actrice principale pour la comédienne débutante Yalitza Aparicio, la production Netflix (qui n’a donc pas fait l’objet d’une sortie en salle) est un des grands favoris de la remise des Oscars cette année. Fränk Grotz