Visite au Centre d’art Dominique Lang à Dudelange. Il fait très beau, on est un dimanche après-midi. Dans la pénombre du lieu d’art où expose Myriam Mechita, tout de suite, c’est le choc. Sont accrochées au mur, sous le titre général de La magie de ton ombre (The drunken boat is close to dive), des grandes feuilles de papier. Deux mètres de haut, un mètre cinquante de large. Ce qui est représenté l’est au crayon. Le rendu est donc en noir et blanc.
C’est tout l’inverse de la lumière qui éclabousse à l’extérieur. C’est une vision sombre qu’expose Myriam Mechita. Le choc est d’autant plus fort – une déception presque – que l’on se souvenait de ces corps d’animaux, certes mutilés, certes crachant du sang, mais en jets de perles de verre colorées lors d’expositions à la galerie Nosbaum-Reding. C’était encore dans les locaux du quartier de la gare, donc il y a fort longtemps. Aujourd’hui, des paillettes, des totems animaliers emperlousés, il ne reste que des flaques. Au pied des quelques céramiques présentées : une sorte de Piéta (sa tête de pleureuse seulement) et au premier étage de la galerie où une table est recouverte d’assiettes, de bols. Ici aussi, on retrouve des petits être chers à l’artiste, les oiseaux.
C’est comme s’ils s’attaquaient, même s’ils ont une apparence gentille – une mésange bleue par exemple – non pas aux reliefs d’un repas, mais aux multiples couleurs de la céramique même. Des images personnelles reviennent pour avoir vraiment vécu un déjeuner abandonné aux oiseaux dans un parc paisible…
C’est cela qui est troublant dans le travail de Myriam Mechita : Il vous touche, même, et surtout, parce que c’est dérangeant. Et que les images qu’elle renvoie évoquent la puissance de la vie et l’impuissance de la mort. Ainsi d’un crâne, une vanité dorée, déposée au centre d’une flaque de couleur noire et de l’arrière train, également doré, d’un animal, en céramique, donc transformé en bibelot ou en fétiche, que l’on devine être un cheval. Un animal fougueux, la plus belle conquête de l’homme...
Le chien, autre fidèle compagnon de l’artiste, et autre compagnon domestique de l’homme en général, on le retrouve également représenté sur un de ses grands dessins au crayon noir. Mais devant son poitrail, quelque chose fait obstacle : comme si on ne pouvait pas s’approcher de lui ou l’inverse, lui de nous. Parce que sa nature tout de même est sauvage et qu’on pourrait craindre sa morsure, ne pas pouvoir l’apprivoiser complètement ?
La difficulté d’être, les frustrations intérieures, voici un autre sujet que Myriam Mechita (elle est née en 1975 à Strasbourg et vit désormais à Berlin), nous oblige à regarder dans cette exposition dont la commissaire est Danielle Igniti, qui, interrogée sur ce choix, dit qu’il est selon elle à l’image du monde actuel, pas commode, peu accommodant : voici la tête d’une jolie jeune fille, mais ses lèvres sont cousues, un autre portrait est comme fissuré. Et puis, il y a des images de corps vieillissants. Les rondeurs des chairs s’effondrent, les bras sont absents, les mains, certes démultipliées sont comme ballantes… Pourtant, Myriam Mechita qui dessine de plus en plus, laisse effleurer dans ces portraits (sans tête) les canons de la beauté – on pense à l’esthétique des sculptures antiques, aux Vénus anthropomorphes. L’ensorceleuse est à l’œuvre, mais elle a la rage de plus en plus rude.