Jeanine Unsen sait-elle la belle contradiction qu’elle provoque dans « sa » salle de la maison Lankelz, un ancien café à Esch-Lallange, voué à être prochainement détruit et que le collectif Cueva (Théid Johanns, Daisy Wagner, Jeff Keiser et Sergio Sardelli) a provisoirement aménagé afin d’inviter une quarantaine d’amis artistes de s’y donner à cœur joie. C’est la quatrième expérience du genre, « et c’était la plus dure », raconte Théid Johanns : au moment des travaux de déblayage et de préparation des lieux, il faisait moins dix, tellement froid que même la peinture gelait. Néanmoins, le vernissage a eu lieu dans la joie et la bonne humeur, comme toujours, fin avril, l’exposition sera encore accessible le week-end prochain. Après, les ouvriers du grand chantier de supermarché sur la friche adjacente prendront possession de la maison, le temps que dureront les travaux, avant que la maison soit démolie.
Jeanine Unsen s’est donc appropriée une salle sous les combles du dernier étage. Cela a dû être une chambre de bonne ou une chambre d’amis, il y a même un lavabo. La photographe, dont on a régulièrement l’occasion d’apprécier le travail sensible – souvent des portraits mis en scène avec un amour excessif du détail – y vante les qualités du silence : « I wish more people were fluent in silence », écrit-elle sur un de ses cadres. Enfin, ce ne sont pas vraiment des cadres, mais ces tambours à broder dans lesquels on bloque le tissu entre deux ronds en bois. Jeanine Unsen en a disposé de plusieurs tailles dans la chambre, accrochés aux murs inégaux, avec parfois quelques mots, mais la plupart du temps des photos rebrodées avec des motifs géométriques colorés. L’ambiance mélancolique des images – paysages ou personnages – est ainsi contrecarrée, ironisée, égayée. Ce serait largement suffisant. Mais Jeanine Unsen en fait alors des tonnes : elle a installé un papier peint criard années 1970 sur les murs et planté des salades dans le lavabo, sous l’inscription « yeah.but ». Et ce trop-plein, cette exagération anéanti ce silence que l’artiste appelle pourtant de ses vœux.
Mais peut-être que c’est aussi un des effets du travail collectif, sur place, et sans l’œil externe d’un curateur ou commissaire, même improvisé. Car, pour exister dans cette grande maison qui fait par endroit décor de train fantôme, où les cages d’escaliers sont transformées en passages anxiogènes, effet de néon en sus, et où une quarantaine d’artistes rivalisent pour attirer l’attention d’un public distrait, venant surtout pour la photo à poster sur les réseaux sociaux, il semble qu’il faille crier, pas chuchoter.
Les travaux discrets, modestes pourtant sont ceux qui plaisent le plus : l’intimité des photos de Véronique Kolber documentant sa grand-mère vieillissante, ses mains plissées, son sourire bienveillant. La salle de Katarzyna Kot-Bach dédiée à la nature : couronne en bois et caverne de feuilles mortes cachée dans une armoire. Il y a aussi l’installation Dadder de la toute jeune Nika Schmitt (elle est née en 1992), qu’on découvre ici : des aimants fixés à des poulies qui remontent imperceptiblement sont accrochés à des plaques de métal qui font un boucan d’enfer quand la pression est telle que l’aimant s’en détache d’un coup sec. Eleonora Pasti a conçu une installation très louise-bourgeoisienne : deux cœurs et leurs artères et veines en tissu grand format, qui s’enlacent dans l’espace, comme une danse amoureuse. Dans la cave, l’installation sonore de Vince Arty fait froid dans le dos, et la caverne de Marc Soisson regorge de choses à découvrir. Les sculptures en bois brut de Laurent Turping rappellent un peu trop Balkenhol et les décors graphiques de Spike sur les façades externes sont reconnaissables de loin. Reiny Rizzi-Gruhlke joue aux princesses avec sa cuisine entièrement baignée de fuchsia et Myriam Helminger fait ce que chaque édition d’une maison occupée nous a valu : quelques lumières, de la feuille d’aluminium et de la cellophane dans un lavabo et l’ambiance est là.
Donc, si l’édition 2018 de Cueva est meilleure, qu’elle fait un peu moins atelier de bricolage ou camp scout, c’est peut-être aussi parce que l’espace et beaucoup plus exigu que par exemple le garage de Zaepert en 2016. Mais ces expositions autogérées de la scène libre jouent un rôle important dans le mircocosme artistique luxembourgeois : celui d’un mouvement grassroots, d’un lieu de découverte et de rencontre de nouveaux artistes. Certains artistes des éditions précédentes ont déjà avancé vers d’autres espaces d’exposition (Intro, galeries, Triennale jeune création, et cetera).