Dans les études sur le patrimoine des ménages, une question lancinante est de savoir qui détient quoi au sein des couples, avec ou sans enfants. Prétendre y répondre relève de la mission impossible, ne serait-ce que pour des raisons juridiques : dans la communauté réduite aux acquêts, qui est le régime matrimonial légal dans un grand nombre de pays, les biens acquis après le mariage sont réputés communs quelle que soit la contribution de chaque époux.
C’est pourtant ce défi qu’a voulu relever l’institut de recherche du Credit Suisse (CSRI) dans son Global Wealth Report annuel paru en octobre 2018. Un des principaux atouts de ce document de soixante pages, agrémenté d’une annexe de 167 pages, est de s’intéresser au patrimoine des quelques cinq milliards d’adultes vivant sur la planète et de ne pas considérer seulement les « riches ».
En Europe et en Amérique du Nord, deux zones géographiques qui concentrent 61 pour cent de la richesse mondiale, la part du patrimoine détenue par les femmes « se situe probablement entre quarante et 45 pour cent » selon les auteurs du rapport. Des études récentes consacrées à l’Afrique et à l’Inde y font état d’une proportion de vingt à trente pour cent seulement de la richesse aux mains des femmes. Les Chinoises occupent une place intermédiaire, en détenant une part de trente à quarante pour cent, une fourchette également valable en Amérique latine, même si des travaux sur certains pays sud-américains ont révélé un faible écart entre les sexes. La région Asie-Pacifique (à l’exclusion de la Chine et de l’Inde) est extrêmement hétérogène. Dans certains pays peuplés, comme le Pakistan et le Bangladesh, la situation patrimoniale des femmes est similaire à celle de l’Inde, ce qui tire vers le bas la moyenne de la région prise dans son ensemble.
Selon le CSRI « si l’on combine ces chiffres, la part des richesses mondiales détenues par les femmes est comprise entre 35 et 42 pour cent », le chiffre rond de quarante pour cent pouvant être retenu comme référence aisément mémorisable. Il est cohérent avec diverses études nationales mesurant la contribution des femmes aux revenus du couple : en France en 2014, l’institut statistique Insee l’a chiffrée à 36 pour cent en moyenne (et à 44 pour cent dans les couples où les deux personnes travaillent à temps plein).
Bien que les données historiques manquent, il ne fait guère de doute que la richesse des femmes s’est accrue au cours des dernières décennies, en proportion comme en valeur, en raison de la possibilité pour elles « d’acquérir un niveau d’éducation supérieur, de faire carrière, de mieux concilier travail et vie de famille », des facteurs qui leur ont permis « de jouir d’une plus grande autonomie financière, de gagner davantage et donc de faire plus d’économies ».
En revanche, d’autres éléments ont pu jouer en sens opposé et freiner la tendance. Les écarts persistants de rémunérations avec les hommes ont eu pour effet de réduire les perspectives d’augmentation du patrimoine des femmes. Des écarts aggravés par le fait qu’elles travaillent plus souvent à temps partiel. Les dépenses pour les enfants pèseraient aussi davantage sur elles que sur les pères, « ce qui a un effet négatif sur leurs économies » selon le rapport. Quant aux divorces, de plus en plus fréquents sous toutes les latitudes, ils pèseraient surtout sur les femmes, dont le patrimoine baisse alors beaucoup plus que celui de leurs ex-partenaires. Les jeunes femmes seules avec des enfants, dont le nombre augmente fortement dans le monde, cumulent tous les handicaps décrits plus haut, avec les effets néfastes que l’on imagine sur leur capacité d’épargne et d’accumulation dans le temps.
Mais selon le rapport les femmes seraient aussi handicapées par leur comportement financier.
En prenant moins de risques que les hommes en matière de placements, elles se priveraient d’opportunités pour faire croître leurs avoirs. Des données, limitées il est vrai à l’Europe et aux États-Unis, montrent que les femmes détiennent une part plus importante de leurs actifs sous une forme réelle (immobilier, bijoux). Et leurs avoirs financiers sont davantage composés de produits d’épargne bancaire sans risques que de titres, plus rémunérateurs. Pour le CSRI, leur comportement prudent n’est pas seulement dû à des facteurs psycho-sociologiques mais aussi à un déficit de connaissances dans le domaine financier. De ce fait, elles seraient aussi moins confiantes dans la pertinence de leurs choix.
Ces facteurs négatifs contrebalancent désormais les éléments favorables, de sorte que la proportion de quarante pour cent stagne depuis 2000, le CSRI notant avec dépit qu’« il reste beaucoup à faire pour que les femmes aient les mêmes chances que les hommes pour constituer des richesses, en hériter et y participer ».
En 2016 le Boston Consulting Group avait estimé à trente pour cent la richesse des ménages détenue par des femmes. Les chiffres plus élevés du CSRI s’expliqueraient par la prise en compte des actifs non-financiers, essentiellement l’immobilier, qui pèsent environ la moitié du total et qui sont partagés plus également entre hommes et femmes. Cela dit, l’estimation du CSRI reste imprécise, avec une fourchette large au niveau mondial (de 35 à 42 pour cent, soit sept points) et plus encore dans certaines régions du globe (dix points en Afrique, en Asie-Pacifique, en Amérique latine, en Chine et en Inde).
Les auteurs du chapitre du Global Wealth Report consacré à la richesse des femmes, le canadien James B. Davies et le britannique Anthony Shorrocks reconnaissent qu’il est très difficile de savoir « quel membre de la famille possède un actif particulier du ménage » et que « de toute manière, la détention légale d’un actif peut en pratique différer de son contrôle ». On peut donc se demander s’il ne vaudrait pas mieux s’intéresser au type et au montant des actifs sur lesquels les femmes en couple exercent un contrôle –total ou partagé – sans nécessairement les posséder.
À cette question, une réponse partielle est donnée par les sondages qui, assez régulièrement, évoquent la répartition des décisions financières entre hommes et femmes. Ainsi en octobre 2017 la banque néerlandaise ING1 a consacré son étude internationale annuelle au thème de l’argent dans le couple.
Elle révèle qu’aux États-Unis la proportion de couples gérant leurs finances en commun est nettement plus élevée qu’en Europe – 65 pour cent contre 53. De ce côté-ci de l’Atlantique, les Luxembourgeois, Allemands, Italiens et Français sont assez proches de la moyenne – entre 49 et 54 pour cent – tandis que les Néerlandais et les Espagnols sont plus « partageux » – respectivement 64 et 63 pour cent.
Les Britanniques sont parmi les moins enclins à faire pot commun (39 pour cent), au détriment de leur bonheur conjugal : en effet selon l’enquête, tous pays confondus, 72 pour cent des couples gérant leurs finances en commun se déclarent heureux avec leur partenaire, contre 45 pour cent seulement de ceux qui préfèrent séparer l’essentiel de leurs ressources. En Europe, les 18-24 ans sont deux fois plus nombreux à séparer totalement leurs finances que les plus de 65 ans.
Les secrets financiers dans le couple restent rares : seulement trois pour cent des Européens en avouent un. Pour le justifier, 34 pour cent des « cachottiers » expliquent qu’ils apprécient de garder une certaine vie privée, 28 pour cent qu’ils se considèrent comme plus compétents que leur partenaire en matière financière et 25 pour cent qu’ils ne veulent pas l’inquiéter. Mais dix pour cent seulement se sentent coupables de dissimulation !
Femmes milliardaires
Selon Forbes en 2018, on comptait 2 208 milliardaires en dollars dans le monde, dont 244 femmes, soit une proportion de 11,1 pour cent seulement. La grande majorité d’entre elles (160) se répartissaient à peu près à égalité entre l’Europe et l’Amérique du Nord. En Europe, où la proportion moyenne était de 14,4 pour cent, les chiffres les plus élevés étaient relevés en Allemagne (26 pour cent), suivie de très près par la Suède (25 pour cent) et la Suisse (23,8 pour cent). En Amérique du nord, 12,7 pour cent des milliardaires étaient des femmes, avec parmi elles de plus en plus de « self-made-women » : 27 pour cent en 2017 contre 17 pour cent en 2010.
Dans les autres grandes régions (ou grands pays) du monde, la proportion se situe entre huit et dix pour cent, avec l’Inde un peu en retrait (6,3 pour cent). À noter que parmi les pays abritant au moins 20 milliardaires, l’Indonésie, Singapour et Taïwan se distinguent par leur absence totale de femmes parmi eux. Sur le continent africain, qui recense seulement 21 milliardaires, deux sont des femmes.
En valeur les femmes milliardaires sont globalement moins riches que les hommes : la moyenne est de 3,85 milliards de dollars contre 4,13, soit une différence de 6,8 pour cent à leur détriment, mais avec de fortes disparités. En Europe et en Amérique du nord, l’écart est limité (entre 8,5 et 9,3 pour cent), mais il est de plus de vingt pour cent en Inde et en Asie-Pacifique et culmine à près de cinquante pour cent en Inde. Exception : les Chinoises milliardaires sont 17,6 pour cent plus fortunées que leurs homologues masculins.
Sans surprise, les femmes milliardaires d’Amérique du nord sont plus riches que les autres, avec un quart de plus que la moyenne mondiale et vingt pour cent de plus qu’en Europe. gc