Au Théâtre des Capucins, les amateurs des planches ont pu voir jusqu’à mardi dernier une reprise de la pièce La Poupée Titanic, montée pour la première fois au Théâtre de la Place des Martyrs à Bruxelles en 1999. Écrite par Thierry Debroux, auteur et metteur en scène belge qui travaille actuellement pour France Télévision avant de devenir directeur du Théâtre Royal du Parc en juillet 2011, cette pièce a remporté le Prix du meilleur auteur en 2000, le Prix de la SACD et j’en passe. Thierry Debroux a mis lui-même en scène la pièce au Luxembourg, dans une coproduction avec le Théâtre Royal du Parc, où elle sera jouée en avril et mai.
Lauréat de ces distinctions prodigieuses, il fallait s’attendre à un coup de génie, même si le prétexte de la pièce, à savoir le naufrage du célèbre paquebot Titanic qui coûta la vie à 1 513 personnes, semble périmé en 2011. Le traitement du sujet est, et c’est le moins qu’on puisse dire, original. Le genre de la comédie dramatique est un bon contrepoint à la sauce mélodramatique superficielle d’un James Cameron, qui, en 1997, réalisa avec son film éponyme un des plus grands succès commerciaux de l’histoire du cinéma.
C’est sous les auspices protecteurs de l’ironie que Maggy, une rescapée du naufrage d’un âge avancé, déclenche le rire chez le spectateur et l’entraîne, contre sa volonté, de plus en plus loin dans les méandres de son passé. La rencontre avec le jeune compositeur Tom, qui, digne d’un détective, mène son enquête policière jusqu’au bout pour pouvoir enfin créer l’opéra de ses rêves sur ce célèbre naufrage, va déclencher le processus de remémoration d’un épisode que Maggy s’était forcée à oublier pendant toute sa vie. Le grand-père de Tom, qui a trouvé la mort sur le bateau pendant la nuit du 14 avril 1914, est lié d’une manière mystérieuse au destin de Maggy, qui avait cinq ans quand elle a perdu sa mère sur le bateau.
Edward, un astrophysicien gentil qui regrette rétrospectivement de ne pas avoir découvert la théorie de la relativité à la place de son collègue défunt, se console dans son rôle de compagnon de vie de Maggy, et essaie tant bien que mal de dissuader Tom et Maggy de l’idée de ramener le passé dans le présent. Tout comme June, la petite amie de Tom, qui en a marre de manger ses sandwichs tandori chicken toute seule, alors que son artiste aimé risque de sombrer dans la folie sans jamais pouvoir résoudre l’énigme des destins entrecroisés de son grand-père et de la mère de Maggy. Jusqu’au jour où celle-ci, poursuivie par des visions d’une enfant de cinq ans qui lui chantonne quelques bribes de son passé, décide pour soi de vouloir plonger de nouveau dans les ruines du naufrage. Tom, documenté jusqu’aux dents sur le sujet, aide Maggy avec les informations issues de la mémoire collective sur le sujet, à retrouver sa mémoire individuelle. Elle y parvient, et découvre sa part de culpabilité par rapport à la mort de sa mère. Edward décide alors de révéler le secret le plus sombre de l’histoire, que le père de Maggy lui a confié sur son lit de mort. L’implication du père dans la mort de la mère, déclenchée par le questionnement sur la vraie identité du père referme le nœud dramatique qui, de rebondissement en rebondissement culmine dans un climax cathartique.
L’ironie, présente au début de la pièce, est rapidement délaissée pour une tristesse infinie qui accompagne les épisodes les plus sombres que la mort d’un être cher nous évoque. Grâce à Jacqueline Bir dans le rôle de Maggy, chaque blague du texte devient un cadeau offert dans toute sa vivacité éclatante et éphémère que peut représenter un jeu théâtral réussi. Elle excelle autant dans les moments les plus sérieux qu’elle joue avec un air de dame âgée abandonnant pour un instant son côté moqueur afin de parler en toute franchise. À ses côtés, dans le rôle d’Edouard, elle trouve en Marc Olinger un partenaire de jeu digne de son nom, qui convainc dans son rôle de compagnon romantique prêt à lâcher sa carrière professionnelle pour l’amour de sa femme excentrique en manque d’affection constant.
Les projections vidéo paraissent pourtant kitsch dans cette pièce. Les souvenirs d’enfance de Maggy, visualisés par une petite fille submergée dans l’eau, sont matérialisés d’une manière trop littérale. L’horreur du souvenir perd en substance et devient un pur mécanisme du récit au lieu de créer une atmosphère. Tout comme le fonctionnement de la vidéo, le récit en soi, même si admirablement bien écrit et interprété, ne s’adresse pas à un spectateur contemporain mais bel et bien à une décennie révolue, celle des années 1990. On se demande si la réadaptation au Théâtre des Capucins fût une contrainte économique ou une envie d’interpréter de nouveau des rôles forts intéressants d’un point de vue du jeu d’acteur, sans se soucier de l’intérêt que la pièce peut avoir dans son ensemble pour un public d’aujourd’hui.