La couleur est annoncée, la perspective tracée dans le titre même du livre que Gaston Carré vient de consacrer à Guy Michels : Un homme et son œuvre. Et l’on est définitivement convaincu de l’éclairage lansonien, de ce que l’étude devra à la bonne vieille manière de Gustave Lanson, quand l’auteur dans son propre portrait se situe sur le terrain de la psychologie. L’homme Guy Michels, donc, et l’œuvre, les deux indissociables, l’un et l’autre s’impliquant, s’expliquant, réciproquement.
Et le parcours de Guy Michels, par voie de conséquence, on dira qu’il est très tôt, très vite orienté, sinon fixé. Né à Drauffelt, « village obstiné, (est) rétif aux vérités péremptoires comme aux teintes trop vives », l’« opiniâtre » enfant de l’Oesling va aller son chemin, pas de doute. D’autant plus que les bonnes rencontres n’y manqueront pas. L’instituteur du village, l’épouse de ce dernier, « une belle créature », et ensemble enseignante elle-même et peintresse. Plus tard, l’exemplaire Tony Bourg.
Impossible dès lors au jeune Guy Michels d’échapper à son destin, au double investissement. Et aux côtés de l’artiste et de l’enseignant, la chance place une épouse dotée de toutes les qualités, « douce et prévenante Annette ». Qui en plus fournit à l’auteur l’occasion de nous faire part de son idéal féminin (ou dirai-je credo antiféministe) : « le plus précieux qu’une femme, outre les élans du cœur, puisse donner à un homme, à savoir l’admiratif respect sans quoi les succès les plus éclatants ne seraient que ternes trophées ».
On a déjà vu pourquoi Guy Michels, on le mettra parmi les dessinateurs, contre les coloristes ; il est vrai que son chromatisme sera toujours « ter-reux et sourd ». Autre distinction : les convaincus et les affranchis, et là Guy Michels relève de la première catégorie, de ceux qui sont persua-dés « qu’il n’est point de démarche artistique qui ne soit aimantée par la boussole d’un système de valeurs… ». Les caractéristiques de l’œuvre : l’attention portée à l’espace et à la matière, « réalité tangible, palpable et frémissante », le fondamental attachement à la forme.
Au long des quelque 180 pages du livre, richement illustré, telles qui se préoccupent le plus précisément à la création, son acte même, son processus, retiennent fortement l’attention. Lent et patient cheminement à partir de croquis, avec l’assassinat de Marat par exemple. Où l’on saisit aussi comment Guy Michels privilégie le plan contre la perspective, comment il n’a cessé dans son œuvre de nous confronter avec l’existence, le Dasein : figure tantôt couchée, prise dans quelles contraintes, homme qui se redresse, debout, entre rencontre et crucifixion.
Avec raison, Gaston Carré insiste sur les luttes menées par Guy Michels dans son engagement d’enseignant. Seulement, de même que pour le travail de l’artiste, est-il besoin alors de pareille diatribe contre l’art contemporain (qui rejoint celle de mai 68), qui ne serait jamais que leurre ; elle se fait au nom d’une beauté rejetée dans un lointain ciel platonicien : « Pourquoi l’Art ? Parce que le Beau, tout simplement ! » Abus de majuscules.