Lors de son interpellation sur le Musée de la forteresse au Parlement, jeudi dernier (21 janvier), la députée libérale Anne Brasseur lança, au passage, une pique inattendue en direction du Mudam : « À mes yeux, le gouvernement a fait une erreur en décidant d’implanter un musée d’art contemporain aux Trois Glands, dit-elle. Ce choix devait servir à animer le Kirchberg. Mais cela n’a pas réussi, parce que le Mudam est jusqu’à présent tout sauf un aimant. » En parallèle, elle signa, avec sa collègue Lydie Polfer, une lettre adressée au président de la Chambre des députés, Laurent Mosar, l’informant qu’elles souhaitent « que Madame la Ministre de la Culture soit invitée à une des prochaines réunions de la Commission de la Culture pour fournir des renseignements sur le développement du Mudam. »
Leur ancien collègue libéral au gouvernement, l’ex-ministre de l’Économie et collectionneur d’art passionné Henri Grethen faisant depuis peu partie du conseil d’administration du Mudam, on imagine aisément d’où émane cette nouvelle pression du DP – qui n’est en fait que la prolongation de son opposition fervente au musée, son orientation programmatique et son implantation lors de l’interminable débat sur sa construction. Le Musée d’art moderne Grand-Duc Jean fut – et reste – une chose politique, on ne risque pas de l’oublier. Le livre Mudam. Le bâtiment de Ieoh Ming Pei que vient de publier le musée le rappelle d’ailleurs sans ambages : il est préfacé par trois (ex)ministres CSV, Octavie Modert, Erna Hennicot-Schoepges et Jacques Santer, qui, tous, se félicitent de la splendeur du bâtiment, que surtout Erna Hennicot a défendu corps et âme dans la pénible bataille politique ayant entouré les pierres de parement Magny Doré.
Tous les musées du monde offrent au moins un petit fascicule sur leur infrastructure et leur histoire à la vente dans leur magasin, il était donc normal que Mudam publie un tel ouvrage aussi, après s’être consacré au contenu dans des publications comme l’Almanach ou ses catalogues d’exposition (Eldorado, Elo,...) ou monographies (Rémy Zaugg notamment) faisant référence. Consacrer un beau livre à l’architecture du bâtiment était d’autant plus important que les monographies internationales sur l’architecte soit omettent de mentionner le musée luxembourgeois, soit ne le font qu’en marge. Ce qui est souvent ressenti comme une offense à la fierté nationale, les 88 millions d’euros ayant été consentis dans la douleur à cette sculpture architecturale, d’autant plus que le président du conseil d’administration considère que « I.M. Pei a su transposer dans son œuvre magistrale l’essence du développement d’un pays au cours des siècles » (p.7).
Or, ce qui frappe, derrière la beauté de l’objet – couverture blanche à engravures géométriques, mise en pages généreuse, sobriété du choix des polices de caractère, très belles photos de Christian Aschman surtout, publiées en pleines pages –, c’est cette impression que, malgré ou après tous les efforts de l’ancienne directrice Marie-Claude Beaud d’implanter le Mudam sur la carte internationale du monde de l’art, il demeure ou redevient, peut-être malgré lui, un musée de province dans cet ouvrage.
Ne serait-ce que parce que le livre ne publie pas une interview avec l’architecte lui-même sur la construction, mais avec le Luxembourgeois Georges Reuter, dont le bureau avait été choisi pour suivre le projet côté luxembourgeois, en étroite association avec Pei. À côté de cette interview, des trois préfaces politiques et des considérations personnelles du directeur actuel Enrico Lunghi, l’architecte de la Ville Aloyse Achten publie un texte très didactique sur le travail de Ieoh Ming Pei et cette « œuvre de maturité », renvoyant toutefois beaucoup aux monographies existantes sur l’architecte (notamment celle de Philip Jodido et de Janet Adams Strong, parue chez Rizzoli, New York, en 2008).
L’association du texte et des images permet toutefois au néophyte de mieux voir ce qui est remarquable dans cette architecture : le sens du détail et l’attention portée aux finitions, parfaites – regardez ces escaliers, comme celui, en colimaçon sous la verrière du jardin de sculptures, voire les mains-courantes des grands escaliers ! –, le choix méticuleux et jamais gratuit des matériaux, la coordination parfaite des formes géométriques, l’importance de la lumière et de son jeu sur les murs à travers les structures des grandes verrières, le lien entre l’histoire et la modernité, particulièrement marqué sur ces vestiges de la forteresse. Souvent, les photos orientent le regard ou font découvrir un détail. Le choix des angles et la sélection des photos toutefois ne cachent pas non plus le contexte difficile dans lequel le bâtiment a dû s’implanter, notamment ses voisins directs de la place de l’Europe.
Or, ce qui manque le plus dans le livre, c’est le contenu du musée : l’art. Interrogé sur la volonté éventuelle de Pei de concentrer l’attention du visiteur sur l’art en limitant le nombre d’ouvertures vers l’extérieur, Georges Reuter n’en dit mot, préférant se concentrer sur l’importance du jeu intérieur/extérieur savamment orchestré par des ouvertures choisies stratégiquement. Si Christian Aschman montre aussi des œuvres en situation, comme de nombreuses vues de l’exposition Michel Majerus, la question sur la difficulté de l’art de s’imposer dans un bâtiment aussi fort et tellement présent n’est pas évoquée. Aussi, tout se passe comme si Marie-Claude Beaud n’avait jamais existée, alors qu’elle avait réussi à transformer le musée en succès public dès son ouverture. Contrairement aux craintes du DP, le Mudam a attiré plus de 250 000 visiteurs depuis son ouverture en été 2006, et se situe, avec quelque 50 000 visiteurs ces deux dernières années, au même niveau que le Musée national d’histoire et d’art et le Naturmusée.