Roberto Scolati aura été un président faible et fragilisé. Dès les débuts, il était évident que la relève précipitée de Marc Glesener, l’éternel chef de l’Association luxembourgeoise des employés de banque et assurance (Aleba), n’allait pas aller de soi. En octobre 2014, lors du passage du règne, Scolati et son nouveau bureau exécutif encaissaient un tiers de votes négatifs. Une année auparavant, aux élections pour la Chambre des salariés, Scolati avait fini dernier de la liste, avec un très faible nombre de suffrages nominatifs. Dans la pratique, ce seront le secrétaire général Laurent Mertz (KBL) et le vice-président Gilles Steichen (State Street) qui se partageront les dossiers stratégiques. Le premier s’occupa de la communication, le second des négociations autour de la nouvelle convention collective. Avec Scolati, ces deux ex-cadres, libérés à plein temps en tant que délégués du personnel, formaient une sorte de triumvirat.
À l’inverse de ses prédécesseurs Eugène Storck et Marc Glesener, qui avaient réussi à s’imposer en interne grâce aux puissantes délégations du personnel de la Bil respectivement de la KBL qu’ils présidaient, Roberto Scolati ne pouvait s’appuyer sur aucun fief syndical. Au sein de sa propre entreprise, la Banque de Luxembourg, il n’avait ainsi pas réussi à se faire réélire en tant que président de la délégation en 2013. Scolati semblait donc étrangement isolé et exposé. Quand, l’été dernier, des rumeurs sur des irrégularités financières dans l’Amicale des employés commençaient à être semées dans la Banque de Luxembourg, la légitimité de Scolati était ébranlée. Fin janvier, alors que les préparatifs pour les élections sociales tournaient à plein, l’Aleba décide d’expédier un communiqué laconique à la presse annonçant le retrait de Scolati du poste de président pour « raisons de santé ».
Ce ne sera qu’un mois plus tard, dans une prise de position vis-à-vis de RTL-Télé, que la Banque de Luxembourg finira par démentir « certaines rumeurs » qui couraient sur la place bancaire : « Monsieur Scolati n’a pas fait l’objet d’une enquête ou d’une procédure disciplinaire internes ». À propos de l’Amicale des employés, la Banque de Luxembourg concède « certains écarts procéduraux […] au niveau du suivi administratif de tâches confiées notamment à Monsieur Scolati ». Celui-ci aurait d’ailleurs reconnu « un manque de rigueur ». Expression de la méfiance qui règne au sein de la délégation du personnel à la Banque de Luxembourg, une partie des délégués Aleba a fait scission et vient de déposer une liste « indépendante ». Scolati, lui, ne se représentera plus, bien qu’il soit – pour l’instant du moins – employé de la banque. (Contacté par le Land, Roberto Scolati n’a pas souhaité commenter.)
Au même moment que l’annonce de la démission du président, perçait la nouvelle que deux permanents, dont le responsable du service juridique, avaient été licenciés peu avant les fêtes de Noël. Les serrures du local, au coin du boulevard Royal et de l’avenue Monterey, avaient été changées le 24 décembre. (En signe de protestation, une collaboratrice de longue date, qui a atteint l’âge de la retraite, démissionne à son tour.) Selon nos informations, la démission de Scolati et la mise à pied des deux permanents seraient indirectement liées. Le bureau exécutif de l’Aleba accusant les deux permanents d’avoir profité de la déstabilisation du président pour négocier avec lui un avenant à leur contrat de travail.
Les permanents licenciés ont retenu les services de Jean-Jacques Schonckert, un avocat médiatique qui aura rapidement monté l’affaire en spectacle. L’Aleba, elle, a fait le choix de se faire représenter par Louis Berns, un associé d’Arendt & Medernach qui défend d’ordinaire les intérêts du grand capital. Les syndicalistes connaissent bien ce spécialiste du droit du travail pour être régulièrement confrontés à lui lors des négociations de plans sociaux dans les banques. Laurent Mertz revendique le droit pour l’Aleba de librement choisir son avocat « comme le fait toute entreprise au Luxembourg ». L’ensemble du comité exécutif suit désormais la stratégie de communication définie par Louis Berns : Refus de communiquer sur les licenciements. Bien que ceux-ci concernent un tiers des permanents du syndicat.
Avec des cotisations mensuelles de 11,95 euros par mois, l’Aleba se targue d’être « le syndicat le moins cher du Grand-Duché de Luxembourg ». Or l’Aleba fait face au tarissement d’une source de financement qui avait beaucoup compté pour elle : les sièges dans les CA des grandes banques. La loi sur la cogestion, introduite en 1974 contre l’opposition farouche des organisations patronales, stipule que chaque entreprise occupant plus de mille salariés doit réserver un tiers des sièges de son CA aux représentants du personnel. En 2009, le juriste Wolfang Heinze en déduisait « einen
Einflussgewinn jedes einzelnen Arbeitnehmervertreters und in jedem Fall einen Prestige- und Informationsvorsprung ». Mais un mandat d’administrateur dans le CA d’une grande banque, cela rapporte également : au minimum 25 000 euros de rémunération par an et par mandat.
L’Aleba refuse de fournir des indications sur la part de tantièmes reversée au syndicat. « C’est une information stratégique sur laquelle je ne peux pas communiquer », dit son secrétaire général, Laurent Mertz. Au LCGB, la part reversée à la fédération syndicale serait de cinquante pour cent, explique le président du syndicat chrétien Patrick Dury. « Chez nous, personne ne devient riche dans un CA », assure le président de l’OGBL, André Roeltgen. Les rémunérations des CA dépassant un certain montant seraient à transférer au syndicat.
Il y a dix ans, l’Aleba totalisait une quinzaine de postes d’administrateur ; entretemps, ce nombre a été divisé par deux. De plan social en plan social, la KBL (où l’Aleba occupait à un moment sept sièges) ne totalise plus que 710 employés. En août 2017, ce passage en-dessous de la barre des mille salariés a conduit à l’expulsion des cinq derniers représentants du personnel siégeant dans le CA. Quant à la Société générale Bank & Trust (1 280 salariés), elle a réussi à trouver une combine qui lui permet de ne pas payer de tantièmes aux représentants du personnel.
La succession de Roberto Scolati devrait se décider aux élections pour la Chambre des salariés. Les scores et les placements des candidats pouvant livrer une légitimité au prochain président. Aux dernières élections, l’Aleba avait frôlé de près la catastrophe. Dans le Groupe 4 « secteur des services financiers et de l’intermédiation financière » (taux de participation : 34 pour cent), le syndicat n’avait réuni que 50,39 pour cent des voix, suivi par l’OGBL (32,3) et le LCGB (17,3).
Or, cette désormais très courte majorité constitue la condition de sa représentativité, qui, elle, lui donne le droit de signer seule des conventions collectives. Si l’Aleba perdait donc 0,4 point de pourcentage, sa représentativité sectorielle pourrait être remise en question. La loi ne prévoit pas d’automatisme pour ce cas de figure. Ce serait donc d’abord une question politique. Or, en absence d’une presse amie et de relais politiques, l’Aleba ne peut pas s’attendre à un traitement de faveur de la part du ministre du Travail, Dan Kersch (LSAP). Le syndicat revendique pourtant quelque 10 000 membres. Ce serait, assure Laurent Mertz, le « vrai chiffre » qui n’inclurait pas les pensionnés (contrairement au nombre de 14 000 avancé habituellement par Glesener).
Le syndicat reste dominant dans la plupart des banques. Mais l’érosion est perceptible, surtout dans les grandes banques de détail. À commencer par la BGL où, depuis qu’un président de délégation froissé avait rejoint le LCGB, l’Aleba n’a plus réussi à remettre pied, sa liste stagnant autour de seize pour cent. À la Bil, l’Aleba ne totalise que 41 pour cent des votes. À la KBL, son score était passé de 87,5 à 64 pour cent aux dernières élections. C’est dans les petites et moyennes banques que l’Aleba défend son hégémonie. Aux managers anglo-saxons, l’étiquette Aleba fait moins peur que celle du LCGB ou de l’OGBL, perçus comme cinquième colonne d’un pouvoir plus vaste et incontrôlable. L’OGBL mène une campagne très agressive, et dit viser la majorité dans le secteur. Quant au LCGB, il joue les troisièmes rôles ; Vincent Jacquet, le secrétaire syndical longtemps en charge du secteur financier, vient de quitter le syndicat pour rejoindre SD Worx, un prestataire de services en matière de ressources humaines.
Or, l’OGBL n’aura pas réussi à significativement augmenter le nombre de listes, qui pouvaient être déposées jusqu’à lundi. Véronique Eischen en donne la faute aux « pressions » exercées par les directions. Des « menaces » auraient ainsi été faites à l’encontre de candidats qui voulaient se présenter sous l’étiquette OGBL. En juin 2017 sur la Radio 100,7, le directeur de l’ABBL, Serge de Cillia, qualifiait l’OGBL de « stramm, zentralistesch an dogmatesch ». Le syndicat emploierait des « méthodes des années 1980, directement issues de la guerre froide ». (Assis à ses côtés dans le studio, Roberto Scolati avait acquiescé : « Je ne peux que le confirmer ».) Pour le patronat bancaire, le « syndicat
n° 1 » reste donc un épouvantail.