Une année et demie de négociations, ça use. Ce lundi, sur la matinale de RTL-Radio, Guy Hoffmann, le fraîchement élu président de l’ABBL, estimait qu’il ne serait pas bon qu’une « insécurité se maintienne pendant trop longtemps ». Qu’une nouvelle convention collective du travail (CCT) couvrant trois ans mette presque deux ans à se concrétiser ne serait « plus dans les proportionnalités ». Or, tant du côté patronal que syndical, on se dit plutôt confiant qu’un accord sera trouvé au cours du mois prochain. C’est que la « prime de conjoncture » est pour bientôt.
Surnommée « prime Luxair », elle assure aux 26 000 employés bancaires une sorte de « quatorzième mois », qui tombe tous les ans en juin, juste avant les premiers départs en vacances d’été. Pour un employé moyen avec une vingtaine d’années d’ancienneté, cette prime se situe aux environs de 4 000 euros. L’échéance de cette prime met les syndicats sous pression de signer une nouvelle CCT dans les prochaines semaines. « La musique qu’on entend sur le terrain, c’est : ‘Quand est-ce que je pourrai réserver mon ticket Luxair ?’ », dit Gilles Steichen, vice-président de l’Aleba et négociateur en chef de l’intersyndicale (composée de l’Aleba, de l’OGBL et du LCGB). Et d’évoquer une « cadence énergique des deux côtés ».
En tant que syndicat majoritaire, l’Aleba devra se dévoiler la première ; le processus d’adoption interne d’une CCT est étonamment informel : ni assemblée, ni vote secret. Les quelque 700 délégués pourront s’exprimer via mail, nous explique-t-on chez l’Aleba. La question sera si l’OGBL et le LCGB feront bande à part. En 2007, l’Aleba avait ainsi été seule à apposer sa signature sous la convention, invoquant le devoir national ; il ne faudrait pas prêter le flanc à « la concurrence internationale ». Quant à la concurrence syndicale, elle saisissait l’occasion pour dénoncer « un contrat collectif indigne ».
Reste que les secrétaires syndicaux auront du mal à expliquer à leurs adhérents que, faute d’avoir trouvé un accord, ceux-ci devront partir en vacances les poches vides. Début juin 2017, patronat et syndicats avaient trouvé une solution provisoire, assurant in extremis le paiement de la prime. Le climat social avait un moment chauffé, et des piquets de protestation avaient rassemblé plusieurs centaines de manifestants devant les sièges de la Morgan Stanley au Findel et de la BGL BNP Paribas au Kirchberg.
Depuis mars, les négociateurs ne communiquent plus sur l’état d’avancement des négociations. Au point d’annuler, le mois dernier, une conférence de presse à quelques heures de sa tenue. Ceci, lisait-on dans la désinvitation, afin de « privilégier un climat de négociations serein ». (Cette discrétion serait due aux positions peu claires de l’ABBL, estimaient les fonctionnaires syndicaux.) Pour les syndicats, dont la force se mesure à l’aune de leurs capacités de mobilisation, c’est une tactique nouvelle. Surtout que, quelques semaines avant ce vœu de silence, l’intersyndicale avait sorti l’artillerie lourde, notant dans un communiqué : « Comme jamais encore auparavant dans l’histoire sociale du secteur financier, nous sommes très inquiets du déroulement actuel des négociations. » L’ABBL défendrait des positions « dogmatiques », « insensées ».
Au moins sur un point, patronat et syndicats semblaient d’accord depuis le début : il fallait « moderniser » la CCT. La nomenclature a en effet peu évolué au fil des décennies. La version 2014 comporte des anachronismes comme « le manipulateur de titres » ou « le gestionnaire clés télégraphiques ». Les six groupes de fonctions seront donc réduits à quatre et revus de fond en comble.
Sur la question des rémunérations, par contre, la discussion coince. Depuis 2014, il n’y a pas eu d’augmentation linéaire des salaires, les syndicats ayant accepté trois années consécutives de « rounds zéro ». Il y a un an, ils étaient entrés dans les négociations en demandant peu : une hausse de deux pour cent en 2018, suivie de 1,5 pour cent en 2019 et 2020. (À titre de comparaison : en 1986, en plein boom offshore, ils revendiquaient cinq jours de congé supplémentaires, l’introduction de la semaine des 35 heures et une hausse des salaires de dix pour cent.) Depuis plus de trente ans, fonctionnaires patronaux et syndicaux se disputent entre deux modèles : des augmentations collectives auxquelles auront droit tous les salariés contre des primes réservées aux seuls « méritants ». En creux, cette discussion porte sur les gagnants et les perdants d’une place bancaire en pleine mutation réglementaire et digitale. La notion de « mérite » introduite dans la CCT de 2007 (et à laquelle le LCGB et l’OGBL s’opposaient à l’époque) énumère des critères comme les « compétences sociales et comportementales », la « flexibilité », la « disponibilité-fiabilité » ou encore le « développement personnel ».
Dans ses communiqués, l’intersyndicale ressasse que le « front commun » resterait « uni et soudé ». Pourtant, l’avenir de l’Aleba comme syndicat dominant du secteur financier ne tient qu’à un fil. Aux dernières élections pour la Chambre des salariés de 2013, l’Aleba n’avait réuni que 50,39 pour cent des voix. Si, aux prochaines élections de février-mars 2019, elle obtenait 0,4 point de pour cent en moins, c’en sera fini de sa représentativité sectorielle. (Celle-ci lui donne le droit de signer seule une CCT.) Pour le syndicat créé en 1918 sous le nom de « Luxemburger Bankbeamtenverein » et qui revendique « plus de 10 000 affiliés » (sur 26 000 salariés), 2019 sera une année périlleuse. Dès la mi-mars, l’OGBL avait lancé sa campagne, sans cacher son ambition d’atteindre la majorité dans le secteur. (Il reste du chemin : Le syndicat avait obtenu 33 pour cent des suffrages aux dernières élections.) En pleines négociations, ce fut un rappel que, derrière l’unité affichée, la concurrence syndicale sévit.