On commencera d’emblée cet article sur un constat : le Luxembourg a, jusqu’à récemment, eu un temps de retard sur ses voisins proches dans beaucoup de domaines. Les expressions stylistiques en art et dans le domaine de la peinture en particulier n’y échappant pas. La remise à niveau, voire la place réellement occupée aux avant-postes actuellement dans ces domaines par les musées et galeries a comblé ce décalage. Mais ce décalage était encore le cas à la fin du XIXe siècle, durant la période 1900 et jusqu’à la mort prématurée de Dominique Lang en 1919, l’anniversaire du centenaire de sa disparition étant la raison de la série d’expositions regroupées sous le titre Dominique Lang et son époque et organisées aux deux galeries d’art de la Ville, au Centre de documentation des migrations humaines et à l’église de Dudelange.
Il s’agit donc de la quatrième exposition que lui consacre sa ville natale en quelques 80 années, celle de 1953 n’hésitant pas à titrer fièrement Dominique Lang – Impressionniste luxembourgeois. Sauf qu’à l’époque où Lang explorait cette technique, aux environs de 1905, trente années s’étaient écoulées depuis que Claude Monnet avait peint le tableau Impression soleil levant, en 1875, qui fondait le célèbre mouvement et Picasso en 1906, après la période bleue, arrivait à la fin de la période rose, dernière étape de son expression picturale classique, pour s’intéresser à l’art nègre, passer au cubisme et faire définitivement exploser les classifications de styles et de genres.
Au Luxembourg, pour revenir à l’actuelle exposition sur Dominique Lang, le regard sur sa peinture et l’analyse de ses styles (car il en eut plusieurs) ayant beaucoup évolué, à quoi s’ajoute l’analyse sociologique de son époque, il est permis de porter une nouvelle fois un regard sur son œuvre, l’exposition du centenaire de sa disparition titrant donc avec justesse Dominique Lang et son époque.
À commencer par l’analyse du milieu où il naquit en 1874. L’attirance d’un « petit paysan » pour la peinture est déjà en soi un cas particulier : on pouvait plus « naturellement » s’attendre à ce type de vocation dans un milieu bourgeois plus éduqué à l’époque. Et si la famille Lang-Nieles – on lira avec intérêt les recherches en la matière d’Antoinette Reuter dans le catalogue – n’était pas réduite à louer ses services comme beaucoup de « journaliers », jouissant même d’une certaine aisance matérielle, le père se montra résolument hostile.
La fratrie Lang peut d’ailleurs être qualifiée d’exceptionnelle ou d’atypique en la matière, puisque Jean-Pierre, son aîné de deux ans, devint ébéniste après avoir étudié à Bonn, l’autre frère Pierre (né en 1879) entra en religion et fut peintre miniaturiste dans la tradition de son ordre monastique, tandis que la cadette des filles Catherine Léonie (née en 1884), choisit certes de devenir bonne-sœur mais c’était pour mieux s’émanciper et exerça le métier d’institutrice.
Si c’est à Dominique Lang, après l’émigration de son frère aîné aux États-Unis en 1911 suite à la mort de son épouse et celle également du second, Jean-Pierre l’ébéniste, en 1910, que revint la gestion des affaires familiales, jamais il ne dévia : il serait peintre, fit des études en conséquence à l’étranger – à Anvers en 1898, Munich en 1906-07, après avoir été élève à l’Académie Julian à Paris (1905) sans oublier en 1900, le traditionnel voyage initiatique en Italie.
Entre 1901-1906, Dominique Lang réalisa le chemin de croix commandé par l’Abbé Frantz de la toute nouvelle église paroissiale de Dudelange, qui portera le titre de « ville » à partir de 1908, grâce à l’essor de l’industrie. Si on ne peut écarter le terme « bondieuserie » dans cette commande, c’est qu’elle était destinée, il ne faut pas l’oublier, dans une société luxembourgeoise profondément catholique, à être vue au sens du Moyen-Âge chrétien, par une population à qui le langage visuel parlait plus et mieux que toute autre forme de littérature.
Mais à bien y regarder, on retrouve dans les personnages qui entourent les étapes de la Passion du Christ, des détails de vêtements, de coiffes et autres chapeaux, voire des décors de style italien que Dominique Lang n’aura pas manqué d’étudier lors de son voyage transalpin en 1900. On notera aussi que pour des commandes de la Ville, en 1908, Lang se montre affichiste et graphiste de talent, tout à fait dans la vogue du style 1900.
En ce qui concerne le « personnage Lang », d’autres styles qu’il emprunta, s’avèrent plus intéressants si on veut le situer dans la ligner stylistiques de quelques « grands » de l’histoire de l’art. Durant ses études anversoises en 1898, Lang avait lu le théoricien des arts and crafts anglo-saxon John Ruskin et appréciait le symbolisme dans le genre romantique et évanescent d’un Dante Gabriel Rossetti (1828-1853). Lang n’a jamais atteint la perfection de celui-ci, (Judith, 1902 et Adélaïde, 1903), dans sa stylistique « post-Rossetti Art Nouveau ».
Mais comment expliquer qu’à la même époque, il réalise des œuvres beaucoup plus personnelles (La mort en visite, 1904, Anima Solitaria, 1905) qui semblent mieux refléter ses tourments, aux dires des témoins et amis de son vivant. On lira dans le catalogue à ce sujet le texte de Roxane Kostigoff. Dans un même tableau, de style symboliste, également de 1904 pourtant, Spes (l’espoir), le voilà qui se fait côtoyer le grand âge, la mort et le cimetière mais aussi la confiance dans la vie, puisque la figure du Printemps mène la barque qui emmène un jeune couple.
Certaines œuvres de Lang entrèrent tôt au Musée National d’Histoire et d’Art (MNHA) et dans les collections de la Maison grand-ducale (également prêteurs dans cette exposition avec Paysage, 1912 ou Champ à Mondercange, 1913). Car après un premier refus au Salon du Cercle Artistique (Cal), il atteignit la consécration en étant deux fois lauréat, reçut le prix Grand-Duc Adolphe et exposa régulièrement par la suite.
Mais le chapitre le plus intéressant du catalogue nous paraît être celui par Fanny Weinquin et Paul Bertemes, qui ont interrogé des particuliers ayant vécu avec familiarité, dans leurs intérieurs, avec Dominique Lang. Ce qui nous permet de revenir à sa production la plus appréciée et la plus… rétrograde, non pas au sens stylistique mais bien temporel : les paysages ruraux. Quand on se promène dans Dudelange, on observe encore aujourd’hui un mix architectural où on voit certes, les maisons d’ingénieurs et d’ouvriers du temps de l’usine, ainsi que le développement de rues commerçantes qui vont avec. Mais bien aussi le monde d’où Dominique Lang était issu, car il y reste encore aujourd’hui des fermes en pleine ville.
Est-ce par attachement à ses origines que Lang, marié en 1911 sur le tard et devenu professeur de dessin dans une école d’Esch-sur-Alzette pour assurer le gagne-pain de son ménage ou simplement par goût personnel pour le plein air qu’il ne vit tout simplement pas dans l’industrie un intérêt pictural ?
La question reste toujours posée. Voulait-il seulement saisir des instants, des lumières particulières ? Une œuvre pourrait ouvrir une piste pour des recherches futures : Journée de l’aviation à Mondorf est daté de 1911, alors que cette fête aérienne eut lieu en 1910. N’aurait-elle pas été peinte en atelier d’après photo ? Car si Lang travailla avec le photographe-portraitiste du quartier Italia Umberto Cappelari, peut-être avait-il pris du matériel photographique avec lui ce jour-là… On s’est posé la question en visitant la rétrospective avec la curatrice, Marlène Kreins.