Les éditeurs de médias américains sont-ils en train de perdre la bataille contre les géants du Net ? La demande qu’ils ont adressée cette semaine au Congrès pour qu’il les exempte des lois sur la concurrence et les autorise à lutter contre ce qu’ils considèrent comme une utilisation abusive de leurs contenus originaux le suggère. La News Media Alliance (NMA), qui regroupe quelque 2 000 membres, proteste contre la reprise des contenus de ses membres par Facebook et Google. Pour avoir une chance d’obtenir une juste rémunération pour ces contenus, ils souhaitent pouvoir « négocier collectivement » avec ces deux groupes, ce que la législation anti-trust interdit.
La NMA estime qu’ils forment désormais « un de facto duopole qui aspire pratiquement la totalité d’un segment de revenus publicitaires tendanciellement en chute ». Ce duopole digital les contraint à « abandonner leurs contenus et à se soumettre aux règles (des deux géants) quant à la façon dont l’information est montrée, priorisée et monétisée », poursuit la NMA, avant d’embrayer sur la thématique des « fake news », estimant que ce sont ces règles qui ont permis l’émergence de ce type de news « qui ne peuvent souvent pas être distinguées des vraies infos ».
Les représentants des médias américains n’en sont pas à leur première tentative de redresser à leur avantage les termes des échanges avec ceux qui les copient. Associated Press s’était déjà attaqué au problème de la reprise de ses nouvelles du front de la Première Guerre mondiale, quand de petites structures légères parasitaient ses « hot news », les réécrivant à la volée pour les diffuser elles-mêmes sur leurs canaux et bénéficier de l’appétit insatiable de l’opinion pour les nouvelles de la guerre sans avoir à envoyer des reporters sur le terrain. Dans l’affaire qui l’opposa en 1918 à International News Service, accusé de se livrer à ce manège, AP avait obtenu gain de cause et la reconnaissance que son concurrent chevau-léger se livrait à une « misappropriation » (usage frauduleux), de ses infos.
Au plus tard depuis la création de Google News, qui s’appuie sur la notion de « fair use » pour reproduire en ligne les leads publiées en ligne par les médias, a priori sans les rémunérer, ces derniers cherchent à obtenir une meilleure part du gâteau. Force est de reconnaître que dans cette bagarre, leur levier est court.
Même lorsqu’ils obtiennent l’appui du gouvernement, comme cela a notamment été le cas en Belgique ou en Espagne, pour mettre Google sous pression, le résultat n’est pas toujours probant. Une loi espagnole adoptée en 2014 et entrée en vigueur en 2015, qui oblige les médias espagnols à facturer la reprise de leurs titres et chapeaux sur des sites comme Google News, a convaincu Google News de cesser son service dans ce pays. En Belgique, Google avait fini par conclure un accord avec les éditeurs leur permettant de profiter un tant soit peu de revenus publicitaires, mais sans reconnaître ses torts. En Allemagne, la maison d’édition Axel Springer avait interdit à Google News de reproduire les accroches de ses infos, pour se rendre compte ensuite qu’il en résultait une baisse brutale des visites sur ses sites et faire marche arrière. La Commission européenne de son côté n’a pas renoncé à légiférer à l’encontre de Google pour obtenir une rémunération des médias de l’UE lorsqu’ils sont cités.
Aux États-Unis, en revanche, personne ne s’attend à ce qu’un cadre législatif vienne soutenir les médias, d’où cet appel à l’exemption anti-trust. Mais, alors que l’exécutif américain ne rate pas une occasion de dire pis que pendre de tous les médias autres que ses soutiens inconditionnels, il est permis de douter que les majorités républicaines au Congrès tiennent compte de la complainte des médias tondus par les géants du Net.