Donald Trump se vante d’établir des liens directs sur Twitter avec les citoyens de son pays sans passer par les abhorrés « fake media ». La micromessagerie est, avec Fox News, son canal de communication de prédilection, et il persiste dans ses efforts pour synthétiser sa pensée en pilules de 140 caractères – avec parfois des pannes qui font douter du bon fonctionnement de son cerveau comme dans son inénarrable invective du 31 mai contre le « covfefe » des médias. La difficulté pour le 45e président des États-Unis est que, contrairement à Fox News, Twitter est par nature bidirectionnel et participatif. Face aux utilisateurs de Twitter qui osent publier à son intention des tweets qui lui déplaisent, il recourt désormais avec célérité et détermination à l’outil du blocage, qui le met à l’abri des microblogueurs jugées irrespectueux et empêche ceux-ci de voir son fil d’actualité.
Être bloqué par le président tweeteur est désormais une consécration. Plusieurs médias se sont intéressés au phénomène ces dernières semaines, et le magazine Wired a publié une liste, qu’il entend maintenir à jour, de ceux propulsés dans ce club sélect par Donald Trump. Comme par définition, on ne voit pas sur Twitter qui a bloqué qui, une telle liste ne peut être établie qu’en s’appuyant sur l’annonce faite par les intéressés eux-mêmes, ce qui permet en principe de retracer ce qui a causé l’ire du président et sa décision d’exclusion.
La liste de Wired commence, de manière emblématique, par VoteVets, une association qui représente un demi-million de vétérans des forces armées américaines et de leur proches. L’association est opposée à la guerre en Irak et ne mâche pas ses mots. Peu avant d’être bloquée, elle avait durement critiqué les efforts du locataire de la Maison Blanche, infructueux pour l’instant, pour instituer une interdiction d’entrée aux États-Unis pour les nationaux en provenance de certains pays majoritairement musulmans, et sa complicité suspecte avec Vladimir Poutine. Des tweets critiques certes, mais nullement injurieux.
Le second sur la liste de Wired est le romancier Stephen King, qui aura à plusieurs reprises émis des tweets négatifs mais qui restaient eux aussi dans le domaine de la civilité, par exemple, la semaine dernière, un simple « Can we have Obama back? Please? ». Marina Siltis, une actrice de Star Trek, qui se référe à Trump comme « menace orange », l’auteur Bess Kalb, l’entrepreneur et militant climatique Al Joshi sont les suivants sur la liste. Là aussi, des tweets fortement critiques mais restant dans les limites d’un débat démocratique semblent avoir convaincu Donald Trump de pousser sur le bouton « block ».
S’il est évidemment tout à fait légitime de bloquer des utilisateurs qui injurient ou menacent les autres, il en va tout autrement d’un représentant de l’autorité publique qui se sert ouvertement de Twitter pour diffuser ses idées au plus grand nombre et qui en bloque certains parce que leurs tweets lui déplaisent. Forbes et le New York Times se demandent si ce comportement est contraire au premier amendement de la Constitution américaine protègeant la liberté d’expression. Forbes cite des avocats de personnes bloquées qui estiment que le compte @realDonaldTrump sur Twitter est devenu un « forum public désigné », protégé automatiquement par le premier amendement, menaçant le président de poursuites s’il ne procédait pas à leur déblocage.
Difficile à ce stade d’évaluer les chances de succès de telles actions en justice, d’autant que sur Twitter, il est encore relativement difficile de savoir où se place le curseur entre liberté d’expression et protection de la sphère privée. Mais l’amendement consacrant le « free speech » n’est pas le premier par hasard, et si Donald Trump peut tweeter toutes les inanités qu’il veut, peut-être bien que d’ici quelque temps des juges lui diront qu’il ne peut pas bloquer qui il veut.