Désarçonnées par le succès de Bitcoin, les grandes banques centrales s’étaient dans un premier temps cru obligées de mettre en garde l’opinion publique contre les risques supposés des cryptodevises. Elles leur ont reproché d’être des phénomènes de mode, des supports rêvés du blanchiment et de la criminalité, des auxiliaires à l’évasion fiscale ou encore des leviers de sabotage des politiques monétaires des États. Ce dernier point révélait sans doute la motivation de leurs premières réactions : la crainte que ces actifs, nés de la combinaison astucieuse des ressources de la cryptographie et des réseaux d’ordinateurs, ne vienne battre en brèche leur monopole. Car les cryptodevises, dont la nature et le statut restent à ce jour mal définis, se sont révélées volatiles certes, mais opérationnelles et séduisantes en diable.
En 2017, c’est une tout autre musique qui émane des banques centrales. La banque de Norvège a commencé à étudier l’émission d’une devise digitale, évoquant sa résilience. Devant l’Académie norvégienne des sciences et des lettres le 25 avril dernier, le vice-gouverneur de Norges Bank, Jon Nicolaisen, a déclaré que « des devises digitales privées octroyant l’anonymat sont déjà sur le marché. Ces devises peuvent également être utilisées même si les systèmes bancaires cessent de fonctionner – pour peu qu’Internet fonctionne encore ». Une option envisagée par Norges Bank serait d’autoriser les consommateurs à détenir un compte directement auprès de la banque centrale. Une autre piste consisterait à lancer une app qui permettrait des paiements anonymes assimilables à du cash. La Banque de Suède a des projets similaires. La Banque d’Angleterre et la Banque de Chine poursuivent également, sous les appellations RsCoin et RmbCoin, des projets de cryptodevises qui semblent surtout viser la préservation du contrôle qu’elles exercent sur la masse monétaire. Les grandes banques commerciales ne sont pas en reste, agissant seules comme Citibank, qui a évoqué en 2015 la création d’un citicoin, ou de concert comme UBS, Deutsche Bank, Santander et Bank of New York Mellon qui ont annoncé en 2016 vouloir lancer lancer un utility-settlement-coin. Goldman Sachs a indiqué en 2014 travailler sur un SETLcoin voué à la compensation de titres. Un point commun se dégage de ces initiatives : les grandes banques centrales et commerciales ne veulent pas rater le coche des cryptodevises et de la blockchain.
Pour l’Autorité palestinienne, la question se pose en des termes bien différents. À ce jour, les Palestiniens n’ont pas de devise à eux. L’euro, le dollar, le shekel israélien et le dinar jordanien font tourner leur économie. Créer une devise palestinienne physique supposerait l’impression de billets de banque et, de facto, l’assentiment des autorités israéliennes qui surveillent les entrées et sorties de marchandises des territoires. Or, un accord signé en 1994 à Paris prévoit la création d’une Autorité monétaire palestinienne (PMA) mais la prive de la capacité d’émettre une devise et recommande l’utilisation du shekel.
En marge d’une récente réunion de la Banque européenne de reconstruction et de développement à Chypre, le directeur de la PMA, Azzam Shawwa, a indiqué à Reuters que la création d’une cryptodevise est l’option privilégiée par l’Autorité palestinienne. Elle s’appellera la livre palestinienne et pourrait voir le jour d’ici cinq ans, a-t-il précisé. Il a reconnu que la mise en place d’un tel système suppose aussi des infrastructures et des réserves (or ou autres), mais a assuré que ceci « fait partie du business plan ». Dans une telle perspective, la PMA se prépare à prendre possession à Ramallah d’un immeuble conçu pour être une banque centrale, équipé notamment d’une solide salle des coffres, a ajouté Azzam Shawwa.
L’écart entre les approches de la Norges Bank, qui veut rester dans la course, et la PMA, qui veut y entrer, est énorme. Mais que des instituts aux statuts aussi différents se tournent en même temps vers la blockchain et les cryptodevises en dit long sur l’attrait que ces technologies exercent désormais sur les grands argentiers.