Le revenu universel garanti, un concept aujourd’hui suffisamment mainstream pour qu’en France le candidat d’un parti de gouvernement aux présidentielles en fasse son cheval de bataille, donne aussi des idées à ceux qui étudient le potentiel de la blockchain et des cryptodevises. Présentées en général sous l’acronyme anglais UBI (universal basic income), des initiatives se proposent d’aller plus loin que le simple octroi, en monnaie conventionnelle, d’un salaire minumum pour tous qui combattra les inégalités, préservera la société de l’angoisse du chômage de masse induit par la robotisation et libérera ses forces créatrices. Plutôt que d’en faire des enjeux politiques nationaux et d’utiliser les structures bureaucratiques héritées du vingtième siècle pour le mettre en œuvre, suggèrent-elles, autant lancer d’emblée à l’échelle globale en le fondant sur la blockchain, technologie bon marché, décentralisée et sûre.
L’un de ceux qui animent cette recherche est Martin Köppelmann, qui a commencé en 2015 à décrire un système baptisé « Circles ». Sa prémisse est que dans un monde où la blockchain s’est généralisée, chaque individu, chaque entité est en mesure d’émettre sa propre devise (avec ses propres règles), avec pour conséquence que chacun cherchera à s’adjuger un avantage décisif en termes de répartition de ces devises par rapport aux autres. Une course irrationnelle et évidemment vouée à l’échec. Face à cet écueil, Köppelmann propose d’adopter une série de règles universelles que chaque entité respectera au moment de créer ses devises afin d’assurer un minimum d’interopérabilité et de favoriser la confiance. Deux individus ou plus qui se connaissent peuvent créer un « cercle » au sein duquel il y aura, par définition, parité entre les devises émises. Au sein d’un réseau interconnecté de tels cercles, la transitivité permet d’étendre cette parité. S’adossant à la notion de revenu universel de base, un tel système permettrait de résoudre le casse-tête de comment parvenir à une répartition initiale juste, soutient Köppelmann. Il énonce douze règles de fonctionnement, dont voici les plus importantes : chacun peut créer un compte ; un compte génère de manière constante un montant de mille unités par semaine ; le taux de génération est augmenté de cinq pour cent par an ; un nouveau compte est crédité au départ de ce qu’il générera en trois mois ; un mois de revenu revient au propriétaire du compte tandis que les deux autres reviennent aux personnes qui font confiance à ce compte, il s’agit là de la récompense de confiance (« trustee reward »). Les autres règles concernent la création de groupes, censés apporter de la stabilité au système en permettant à leurs membres de convertir, de manière irréversible, leurs devises personnelles en devises de groupe.
Selon Martin Köppelmann, Ethereum est la première blockchain permettant de se livrer à une telle expérimentation, qui reposerait sur la décentralisation et une croissance organique. Un tel système pourrait grandir au point que les devises émises soient acceptées mondialement, mais serait aussi capable, en cas de crise, de se replier pour fonctionner à une échelle plus restreinte (pays, ville, communauté). L’augmentation annuelle du taux de génération est le paramètre critique qui permet de maximiser la valeur du revenu créé.
Circles n’est pas le seul projet de ce type. Basé sur l’idée de « demurrage » (surestarie), commission fondée sur les travaux du théoricien allemand Silvio Gesell qui pénalise la non-circulation (thésaurisation), et s’appuyant sur la cryptodevise Freicoin, le projet WorldLeadCurrency, initié en 2014, cherche lui aussi à généraliser un revenu universel inconditionnel. Les promoteurs de Circles comme de WorldLeadCurrency, à la différence des politiques qui défendent cette solution, ne cherchent pas à se faire élire pour l’instaurer, mais s’escriment sur du code informatique, interviennent sur des forums en ligne ou lancent un café dédié à Berlin pour attirer des expérimentateurs et la faire fonctionner sans attendre. Il est commode de railler de telles initiatives comme relevant de l’utopie. Mais il faut leur reconnnaître un mérite : elles n’attendent pas que les inégalités et la robotisation fassent exploser nos sociétés.