Les désintermédiations radicales promises par la blockchain pour des secteurs économiques tels que la finance, l’immobilier ou l’administration motivent aujourd’hui d’intenses recherches et investissements. Le financement de cette activité effervescente se fait en partie par les moyens classiques de l’univers des start-ups, levées de fonds, créations de consortiums entre grands groupes et autres tours de table. Mais une part croissante de la recherche de capitaux se déroule désormais sur la blockchain elle-même, évolution qui illustre la versatilité de la technologie. On a ainsi vu apparaître des montages innovants appelés ICO, pour « Initial Coin Offering » (par analogie avec le concept de lancement en bourse, « Initial Public Offering »), « token sale » ou « crowdsale », consistant à mettre en vente des jetons ou devises utilisés sur la plateforme à créer ou des parts dans la société à l’origine du projet.
La réglementation n’a pas eu le temps de se mettre à l’heure de ces montages, bien qu’ils se prêtent presqu’idéalement à des escroqueries. Les autorités concernées, autorités boursières ou contrôleurs du secteur financier, ne sont pas vraiment pour l’instant en mesure de les réglementer. Natifs du net et adeptes du concept « code is law », les utilisateurs de ce type de montage s’adressent à un public global d’utilisateurs de cryptodevises, des internautes avertis donc, et font preuve d’une créativité endiablée pour utiliser les ressources de la technologie qu’ils se proposent de développer. La spéculation fébrile qui règne sur le marché des cryptodevises, alimentée par les perspectives de voir émerger des technologies qui s’imposeront comme standards, contribue à faire de ces offres de tokens une scène remarquablement vivante. Habituellement, leurs initiateurs énoncent leur objectif sous forme d’une fourchette : un minimum à atteindre, typiquement endéans quelques semaines, pour que le projet puisse aller de l’avant et aboutir à un produit commercialisable, avec l’engagement de restituer les sommes engagées si cet objectif n’est pas atteint, et un plafond au-dessus duquel plus aucun investissement ne sera accepté afin d’éviter toute dilution excessive. L’opération la plus visible de ce type a débouché en 2014 sur la création d’Ethereum, plateforme de smart contracts dont la cryptodevise, l’« ether », vaut aujourd’hui quelque 4,5 milliards de dollars.
A Luxembourg, au moins un entrepreneur blockchain recourt actuellement à ces options émergentes de financement. Alex Kampa, spécialiste des systèmes monétaires, s’apprête à en lancer une variante, baptisée « token presale », prologue d’un token crowdsale prévu à la fin de l’année, pour son projet « sikoba » de système bancaire alternatif fondé sur des crédits entre pairs. Les souscripteurs d’une phase dite de « préallocation », qui court jusqu’au 24 avril, auront droit à soixante pour de cent de plus de tokens que les participants de la vente proprement dite, la prévente elle-même qui court jusqu’en décembre donnant droit à un premium de cinquante pour cent. Le contrat de la prévente, logé sur la blockchain Ethereum, spécifie une fourchette comprise entre 5 500 à 11 000 ethers, soit, aux cours actuels, quelque 230 000 à 460 000 euros. L’équipe internationale rassemblée par Alex Kampa compte finaliser la plateforme début 2019, date à laquelle, si tout se passe bien, les tokens vendus deviendront opérationnels et permettront d’y payer pour les transactions : comme sur pratiquement toutes les blockchains, celles-ci feront l’objet sur « sikoba » de très faibles commissions pour décourager les attaques de déni de service et assurer la perennité de la plateforme. Dans une interview sur Medium, Alex Kampa explique pourquoi lui et son équipe ont choisi cette voie : « Comme il y a une bonne dose d’idéalisme à la base du projet, celui-ci requiert aussi un type particulier d’investisseur. Notre décision a donc été d’éviter, autant que possible, les venture capitalists traditionnels ». En plus de requérir beaucoup de temps pour lever de l’argent de VCs, note-t-il, « nous estimons qu’avoir des VCs comme actionnaires rendrait le projet moins crédible auprès de la communauté blockchain ».