Que peuvent avoir en commun la blockchain, qui combine cryptographie et mise en réseau pour créer des registres décentralisés infalsifiables, et la réalité virtuelle, qui, grâce à de nouveaux périphériques de visualisation, se prépare à envahir nos vies par le biais des jeux ? Plus que ne le suggère l’intuition, affirme dans des publications récentes des explorateurs du futur tels que Simon de la Rouviere ou Fred Ehrsam.
Les personnes séduites par les univers ludiques en ligne tendent à y consacrer beaucoup de temps. Lorsqu’il s’agit de jeux en ligne qui font intervenir dans un même univers beaucoup d’internautes, ces derniers tendent à considérer que c’est là que se développe leur sociabilité. Si un des enjeux de ces univers est d’accumuler des cryptodevises spécifiques et que ceux-ci sont échangeables contre des espèces conventionnelles, les
joueurs pourront même aller jusqu’à voir dans cette activité une forme de gagne-pain suprêmement désirable. Ajoutons à ce cocktail addictif l’intense immersion sensorielle procurée par des accessoires de réalité virtuelle, et le saut dans un monde parallèle n’en sera que plus séduisant.
Pourtant, même les aficionados les moins politisés seront amenés à se poser des questions sur les moyens de contrôle que leur passion confie aux entreprises propriétaires des plateformes de jeux sur leur vie, leur temps, leurs trophées (qui peuvent être monnayables) et, quand des cyberdevises sont associées à leur jeux de prédilection, à leur patrimoine. Ehrsam rapporte que plus de 100 000 personnes ont, à un moment donné, gagné leur vie en échangeant du « gold », la devise dédiée de « World of Warcraft ». Comment s’assurer que ces propriétaires ne vont pas en cours de jeu changer les règles à leur avantage, que ce soit pour s’accaparer les sommes investies ou pour réduire encore davantage en esclavage virtuel, pour mieux les traire, les hordes de joueurs ?
Loin d’être des élucubrations de science fiction, ces perspectives sont à prendre au sérieux, affirme Fred Ehrsam. « Imaginez si chacun vivait dans ‘World of Warcraft’ ou dans le monde virtuel que Facebook est en train de construire. Les vies sociales des gens, leurs biens et leurs emplois seront liés à cet univers. Et cela signifie que la compagnie au centre de cet univers pourrait tout enlever sur un coup de tête si cela devait leur convenir », avance-t-il. Et de suggérer que les blockchains apportent une réponse convainquant à ces problèmes, en rattachant les biens, virtuels ou non, à un registre d’où personne ne pourra les retirer, et en sécurisant l’identité de l’internaute. Il est vrai que du fait de leur nature décentralisée et de la quasi-impossibilité, sauf à monter de lourdes et périlleuses cyber-expéditions, de modifier les inscriptions qui y figurent, les blockchains apportent des garanties de pérennité et d’intégrité qui reposent, en dernier ressort, sur la résilience d’Internet. En même temps, de manière native, toute blockchain est instantanément disponible partout dans le monde.
Comparant la situation actuelle à l’émergence, au début d’Internet, des premières communautés en ligne strictement contrôlées par des opérateurs tels qu’AOL ou Compuserve, Ehrsam suggère qu’une tendance aux « jardins clos » de réalité virtuelle pourrait se faire jour chez des intervenants tels que Facebook, mais que la blockchain pourrait alors intervenir comme antidote efficace contre toute menace d’enfermement.
Simon de la Rouviere va plus loin, suggérant qu’une technologie unifiant réalité virtuelle et blockchain peut devenir le vecteur de la réalité la plus susceptible de fonctionner en situation de survie : elle fournirait, face à une crise grave où tous les repères s’estomperaient, un environnement « réel » bien que reposant sur des liens portés par Internet. Un tel environnement pourrait continuer d’inspirer confiance et on pourrait, par exemple, y acquérir de la nourriture en échange de cryptodevises. Certain de l’incorruptibilité de la blockchain, de la Rouviere veut croire que cette perspective, a priori glaçante, peut néanmoins déboucher sur « un monde plus libre, ouvert, global ».