L’Allemagne s’angoisse à l’idée que la déferlante de « fake news » colportées par les réseaux sociaux et qui a submergé et pollué l’espace public américain lors des dernières élections s’abatte chez elle à l’approche de son scrutin prévu cet automne. Bien que la République fédérale soit sans doute un des pays les mieux vaccinés qui soit à cet égard, il s’avère qu’elle n’échappe pas au phénomène. Alors qu’on agitait jusqu’ici notamment le spectre d’interventions orchestrées depuis le Kremlin, l’opinion allemande se rend compte que de telles manipulations peuvent tout aussi bien venir d’outre-Atlantique, surtout avec à la Maison Blanche un locataire qui barbote comme un troll heureux dans ces brouets d’intox.
Facebook a annoncé cette semaine qu’il lançait en Allemagne son dispositif de filtrage et d’élimination de fake news. Ce sera le premier pays en dehors des États-Unis à en bénéficier. Un prestataire, une société nommée Correctiv, est chargé d’examiner les messages d’internautes signalant de fausses nouvelles circulant sur le réseau. Si Correctiv
constate que la nouvelle visée est bel et bien fausse, elle sera dotée du tag « controversé », avec un mot d’explication, et l’algorithme hiérarchisant les news ne lui accordera pas de priorité. Ceux qui souhaiteront malgré tout la partager auront droit à un avertissement.
Cette démarche de Facebook est sans doute motivée au moins en partie par la menace, énoncée en toutes lettres par des hommes politiques d’outre-Rhin, de faire payer les réseaux sociaux qui n’intercepteraient pas à l’avenir les fausses nouvelles ou ne feraient pas taire les « social bots », ces fausses identités créées pour automatiser leur propagation. Comme on l’a vu lors de la campagne américaine, ce n’est pas le souci de l’intégrité du débat démocratique qui étouffe Facebook. Le groupe américain a vu ses compteurs exploser grâce au malstrom de fausses nouvelles : celles-ci font évidemment d’autant plus cliquer qu’elles sont plus explosives et plus scandaleuses.
Martin Schulz, le président sortant du Parlement européen qui emmènera les sociaux-démocrates en Rhénanie du Nord-Westphalie, a soutenu que « nous devons nous protéger contre des manipulations de la campagne électorale » et que « cela doit revenir vraiment cher » à des entreprises comme Facebook « si elles n’empêchent pas la propagation de fausses nouvelles ». Un projet de loi prévoit une amende de 500 000 euros en cas de contravention. Alarmé que les fausses nouvelles ne mettent en échec la « culture du débat » de la démocratie allemande, le ministre de la Justice Heiko Maas a même évoqué des peines d’emprisonnement de cinq ans pour les cas graves. Le président du Verfassungsschutz, Hans-Georg Maaßen, a pour sa part réclamé que l’on donne aux services de renseignement le droit de répliquer de manière offensive aux cyber-attaques visant l’Allemagne, autrement dit de ne plus se contenter de la seule « Cyber-Abwehr ».
Cependant, s’il y a consensus sur l’existence d’un risque, il n’y en a pas vraiment sur les mesures à prendre. Certains voient dans ces initiatives de la coalition de l’activisme électoral et évoquent le risque de censure et de création d’un « ministère de la Vérité ». La Fédération des entreprises numériques Bitkom a mis en garde contre le risque de voir émerger un « Zensurmonster », estimant que la législation existante est amplement suffisante. Le site de nouvelles technologiques heise.de a cité le juge berlinois Ulf Buermeyer pour qui « d’un point de vue constitutionnel, il n’y a que très peu de marge de manœuvre pour une loi pénale contre les fake news ». Seules les affirmations factuelles dont on peut prouver qu’elles sont fausses pourraient selon lui être visées ; dès lors qu’un post ne contient ne serait-ce qu’une once d’opinion, il devient impossible de l’interdire. En réalité, fait-il valoir, ce sont souvent des configurations complexes qui posent problème, par exemple lorsque des citations exactes sont mentionnées dans un contexte induisant en erreur. Une chose est sûre : l’année 2017 sera agitée sur les pans germanophones des grands réseaux sociaux.