Le fondateur et CEO du blog Gawker s’est dit convaincu cette semaine que Peter Thiel, un des hommes les plus en vue et les plus influents de la Silicon Valley, le soumet à un feu roulant de plaintes pour l’acculer à la faillite, en finançant un ex-catcheur qui a lui-même une dent contre le blog.
Blog de « gossip » par excellence, Gawker se spécialise dans les célébrités et est connu pour être prêt à s’attaquer à l’intimité des personnes visées, y compris en publiant des clips vidéo embarrassants, et ceci sans tenir compte des règles de déontologie journalistique. Les éléments avancés par le fondateur de Gawker, Nick Denton, ont cependant semblé suffisamment convaincants pour justifier que de nombreux médias « sérieux », dont Forbes et le New York Times, rapportent ses accusations. Si l’on ajoute à cela le rôle de Peter Thiel dans la campagne électorale en cours outre-Atlantique, en tant que financier du camp républicain, et le fait que Gawker ait mis en avant l’homosexualité de Thiel alors que celui-ci fait tout pour éviter toute mention publique de ses orientations, on comprend mieux pourquoi cette affaire a priori insignifiante, qui relève a priori de la rubrique mondaine, ait autant d’écho.
Peter Thiel est un milliardaire qui a participé à la création de Paypal et de l’entreprise d’analyse de données Palantir. En tant que « business angel », il a fait partie des premiers à soutenir financièrement Facebook, ce qui lui a permis récemment de faire une plus-value de l’ordre d’un milliard de dollars en vendant des actions de la firme. Il fait partie régulièrement de tours de table pour financer le développement de start-up de la Silicon Valley, sa présence valant souvent caution suffisante pour la participation d’autres investisseurs : c’est sans doute un des « gourous » les plus en vue de la Silicon Valley, qui s’apprête à présent à jouer le rôle de « super-délégué » en faveur de Donald Trump lors de la convention de nomination du Parti républicain.
L’ex-catcheur Terry Bollea, connu sous le nom de Hulk Hogan, a porté plainte à trois reprises contre Gawker, en faisant appel à un avocat très en vue de Los Angeles, Charles Harder. Hogan a fait l’objet de la part de Gawker d’indiscrétions qui lui ont fortement déplu : le site a publié en 2007 le clip de ses ébats avec la femme de son meilleur ami. Un tribunal de Floride lui a accordé des dommages et intérêts de 140 millions de dollars. Mais cette affaire qui remonte à neuf ans est-elle suffisante pour expliquer trois plaintes de sa part contre Gawker, avec les frais considérables que constituent les honoraires astronomiques de Charles Harder ?
Peter Thiel n’a pas commenté les affirmations selon lesquelles il serait celui qui soutient généreusement Hogan pour attaquer Gawker sans relâche : la presse fait état d’un soutien s’élevant à dix millions de dollars. Mais ce feu roulant d’affaires judiciaires pourrait finir par mettre à genoux le groupe Gawker, qui comprend plusieurs autres blogs dont Gizmodo, spécialisé en technologie. Parmi ces blogs figurait aussi Valleywag, aujourd’hui fermé, qui s’est intéressé aux orientations sexuelles de Peter Thiel. Ce dernier-ci avait à l’époque accusé Valleywag d’être « l’équivalent Silicon Valley d’Al Qaeda ».
Tous les ingrédients d’une affaire glauque au possible sont réunis. Celle-ci semble reposer en premier lieu au fait qu’un milliardaire très connu, proche du parti républicain, n’assume pas son homosexualité. Mais ce qui inquiète surtout, c’est qu’une stratégie de harcélement judicaire de grande ampleur puisse ainsi être menée impunément et menacer l’existence d’un blog, quand bien même si celui-ci est peu ragoûtant. Il peut s’avérer difficile voire impossible de prouver le rôle de Thiel dans le financement des plaintes de Hogan, mais celles-ci peuvent bel et bien entraîner à terme la faillite de Gawker. Si on devait en arriver là, ce serait un bien triste épilogue à cette histoire affligeante.