Une enquête du site de technologie Gizmodo concernant la façon dont seraient filtrés les « trending topics » de Facebook a mis le feu aux poudres à Washington. De jeunes journalistes affectés par le réseau social à la mise en forme de ce fil d’actualité, proposé pour l’instant en anglais seulement aux utilisateurs du réseau social aux États-Unis, au Royaume-Uni, au Canada, en Inde et en Australie, ont raconté au site en avoir éliminé systématiquement des sujets susceptibles d’intéresser les utilisateurs conservateurs.
Les trending topics, lancé en août 2013, sont la réponse de Facebook au « What’s trending ? » de Twitter, qui s’est avéré bien plus apte que son concurrent à refléter l’actualité en temps réel. Compte tenu de l’importance de Facebook dans la formation de l’opinion, les témoignages recueillis par Gizmodo ont mis en émoi de nombreux politiques étatsuniens. Selon un de ces journalistes cités anonymement, il était coutumier d’exclure des items portant sur des comités électoraux de droite ou des leaders du parti républicain comme Mitt Romney, Rand Paul, et à l’inverse de mettre en avant certains articles même s’ils n’avaient pas obtenu les faveurs des membres du réseau social.
Malgré la nature quelque peu lacunaire des témoignages recueillis par Gizmodo, de nombreux politiques ont aussitôt crié au scandale. Au Sénat, le président de la Commission du commerce, de la science et des transports, le républicain John Thune, élu du South Dakota, a exigé que Facebook s’explique sur ces allégations « sérieuses ». « Toute tentative d’une platforme de médias sociaux neutre et inclusive de censurer ou de manipuler le débat politique est un abus de confiance et incompatible avec les valeurs d’un Internet ouvert », a-t-il asséné. Des représentants des courants libéraux ont eux aussi critiqué ces pratiques supposées. Facebook a affirmé « prendre au sérieux » ces affirmations, mais n’avoir trouvé aucune preuve qu’elles correspondent à la réalité.
S’il est exact que Facebook donnait pour instruction à ses éditeurs de filtrer d’une certaine façon les nouvelles mises en avant par ses utilisateurs, il y a sans aucun doute tromperie sur la nature de ce service présenté comme un reflet fidèle des « likes » et citations postées.
Un des impacts attendus de l’ubiquité des réseaux sociaux est celui d’une polarisation des positionnements politiques : lorsque des internautes ont des orientations politiques fortes et qu’ils utilisent Facebook pour s’informer sur l’actualité, ils seront probablement amenés à y voir toujours plus d’articles et d’opinions allant dans leur sens, alors que sur les médias traditionnels, même si ceux-ci professent une couleur politique, ils seraient sans doute davantage exposés à des positions divergentes des leurs. Dans cette perspective, il n’en deviendrait que plus critique que Facebook ou d’autres réseaux sociaux ne trichent pas sur la nature de leurs fils d’actualité. Ne serait-il pas naturel d’exiger que le réseau social n’intervienne en rien et laisse faire son algorithme ?
D’un autre côté, on sait bien qu’au fil de son histoire, Facebook ne s’est guère embarrassé de ce genre de scrupules et a toujours savamment entretenu le flou sur ce que voient et ne voient pas ses utilisateurs. Dès lors que le réseau social affiche un fil d’actualité, il devient de fait un média et est donc tenté d’infléchir sa rubrique de news d’une façon favorable à sa politique commerciale. Mais contrairement aux médias traditionnels, les utilisateurs les plus polarisés du réseau social peuvent être tentés par l’hyperactivité pour influencer les « trending topics » sur les sujets à forte connotation politique.
Facebook peut-il se permettre de laisser une rubrique aussi visible et sensible que les trending topics à la merci de telles tripotages ? Sans doute pas. Mais il est tout aussi difficile d’imaginer qu’il discute publiquement les mesures correctives qu’il peut être amené à prendre pour éviter les manips.