Très tôt après sa création en 2006, le réseau de micromessagerie Twitter s’est distingué par la limite de 140 caractères imposée aux messages publiés par ses utilisateurs. Il ne fait guère de doute que ce qui pouvait apparaître a priori comme une limitation encombrante, justifée par la notion que les messages devaient aussi pouvoir être envoyés depuis tout téléphone portable, était en réalité un éclair de génie qui contraignait les participants à être concis et a en définitive grandement contribué au succès du réseau gazouillant. Pour les journalistes par exemple, adeptes de la première heure, cette concision imposée allait à contre-courant de la libération des contraintes de pagination des médias imprimés que promettaient les pages web, extensibles à l’envi. Pour eux comme pour pour tous les autres utilisateurs, cette limite stricte a eu pour effet de rendre la plateforme nerveuse et réactive, de pousser les contributeurs dans leurs derniers retranchements pour ramasser en quelques mots choisis des informations ou des opinions complexes. Tout ce qu’il fallait pour créer un environnement parfaitement adapté au temps réel, accordant une large place à la spontanéité et à la sérendipité, et ce d’autant plus que d’emblée la proposition était de rédiger ces gazouillis aussi à la volée depuis un terminal mobile.
Le débat qui agite ces derniers temps la twittosphère et la direction de Twitter autour de la limite de 140 caractères révèle à quel point cette limitation est une caractéristique native du réseau social. Pressé par ses investisseurs qui souhaitent que l’entreprise « monétise » plus efficacement ses 300 millions d’utilisateurs actifs et par ses annonceurs qui rèvent de pouvoir inonder la plateforme de messages plus bavards, la direction a depuis quelques mois fait l’impossible pour satisfaire ces deux catégories sans aliéner ceux de ses utilisateurs, qui semblent d’ailleurs constituer une majorité importante, du moins parmi les plus actifs et les plus influents, qui identifient les 140 caractères comme une contrainte féconde et font pression pour les maintenir.
En mars dernier, après de longs débats, le CEO de Twitter, Jack Dorsey, a tranché : la limite des 140 restera. Ou du moins, elle restera mais sera aménagée. « (La limite) restera. C’est une bonne contrainte pour nous et elle rend possible la brièveté propre à l’instant présent », a-t-il expliqué, démentant des rumeurs qui avaient circulé sur l’établissement d’une limite de 10 000 caractères dans la plateforme.
Ce faisant, Jack Dorsey a sans doute donné droit à ceux qui agitaient le spectre d’un Twitter dilué à force de courir derrière Facebook, avec un fil d’actualité regorgeant de longues tirades, elles-mêmes enrobées de tweets de promotion géolocalisés, de clips vidéo se mettant en branle spontanément et d’autres réjouissances publicitaires. Déjà, par rapport à ses débuts, lorsque Twitter ne comportait que du texte, et qui plus est du texte « pour initiés » composé de séquences d’abréviations, hashtags et autres codes hermétiques propres à Twitter, le réseau de micromessagerie est déjà aujourd’hui un média riche et bien plus abordable, émaillé d’images et de clips, y compris publicitaires, ce qui en l’état suffit à faire enrager de nombreux aficionados puristes.
La limite des 140 caractères va donc être aménagée, et ce d’une façon astucieuse puisque c’est le décompte qui va être modifié : les mentions @ (préfixe adresse) en cas de réponse à un tweet ne seront plus décomptées, de même que les liens correspondant à certains types de pièces jointes au tweet. Ces éléments restreignaient d’autant jusqu’ici les tweets, forçant leurs auteurs à une brièveté paralysante. Il y a quasi-unanimité que les nouvelles règles devraient permettre de conserver le caractère unique de Twitter tout en le faisant évoluer positivement. La concision restera donc un élément constitutif de Twitter, on ne peut que s’en réjouir.