À l’intersection de la blockchain, en tant que support d’« organisations distribuées autonomes » (DAO) et de l’intelligence artificielle, les projets les plus fous émergent. Les DAO sont des organisations régies par des « smart contracts » rattachés à une blockchain. Deux explorateurs de ces univers émergents sont Trent McConaghy, qui se présente comme un chercheur en intelligence artificielle et un ingénieur blockchain, et Simon de la Rouviere, visionnaire et lui aussi expert en blockchain. Tous deux ont imaginé plusieurs projets combinant ces deux technologies.
L’une d’elles, baptisée ArtDAO, consiste en un robot voué à la création artistique, doté d’un certain degré d’autonomie, « hébergé » sur la blockchain, et qui serait programmé pour produire et vendre ses œuvres. Pour corser le tout, ce robot garderait le produit de la vente de ses œuvres, ce qui lui permettrait d’investir dans l’achat des ressources requises pour continuer sa quête « artistique » et son enrichissement.
Une telle perspective peut paraître relever de la science-fiction. Mais la plupart des experts s’accordent à dire que les DAO, ces structures natives de la blockchain qui peuvent s’affranchir de leurs créateurs et s’auto-perpétuer, recèlent un énorme potentiel, largement inexploré, et que la technologie qui les sous-tend existe aujourd’hui.
Trent McConaghy imagine donc une DAO qui génère de l’art, devient millionnaire et procrée tout une « mini-armée » d’artistes comparables à elle-même. Ainsi, un programme pourrait produire des images d’un niveau artistique suffisant pour que des gens aient envie de les posséder. Un tel programme pourrait faire appel à la programmation génétique (c’est-à-dire conçue pour évoluer), au « deep learning » (reconnaissance itérative de motifs contenus dans des données) ou à d’autres techniques d’intelligence artificielle.
Sa production serait « signée » en ce qu’elle serait authentifiée à l’aide d’une empreinte enregistrée sur la blockchain, ce qui ferait de la DAO l’ayant-droit de l’œuvre – si tant est qu’un robot peut détenir des droits sur une œuvre, note McConaghy, qui relève que de toute façon la législation en la matière est appelée à évoluer. Reste à publier et à trouver un acheteur, qui serait invité à régler son achat en utilisant la cryptodevise rattachée à la blockchain (par exemple des « ethers » sur Ethereum). En théorie du moins, si on imagine que le produit de la vente de ces œuvres resterait la propriété de l’ArtDAO, c’est-à-dire qu’il ne serait pas reversé à des humains, il en résulterait une situation particulièrement intéressante en termes de fiscalité : comment de tels revenus seraient-ils imposés ?
McConaghy suggère plusieurs formes d’adaptation qui pourraient permettre à une telle machine de trouver son marché. Elle peut orienter sa production en fonction des ventes réalisées ; elle pourrait requérir l’avis d’un humain sur des variantes de sa production et ainsi, par itération, parvenir à identifier les œuvres les mieux à même de trouver leur public ; elle pourrait bénéficier d’améliorations apportées par des humains à son code, ou enfin chercher elle-même à l’améliorer. Les acheteurs des œuvres pourraient être eux-mêmes des DAO « marchands » spécialisés dans la recherche de publics susceptibles de vouloir acquérir ces œuvres.
Les deux chercheurs sont bien conscients du caractère provocateur de leurs projections. Alors que l’on s’est souvent dit que seules les professions les moins créatives seraient exposées à la concurrence des robots et de l’intelligence artificielle, et que les « nobles » métiers de la culture et de l’art resteraient l’apanage d’homo sapiens, l’on découvre que les créateurs ne seront pas nécessairement épargnés. Les machines imaginées par McConaghy et de la Rouviere pourront travailler 24 heures par jour, compulser l’ensemble de la création humaine sans jamais faiblir ni oublier quoi que ce soit, générer des tableaux dynamiques du zeitgeist et même anticiper, sans doute mieux que les humains, les réactions à leurs productions. De telles perspectives peuvent faire froid dans le dos ou paraître désespérantes. Nous avons tout intérêt à nous y frotter dès maintenant et à mettre les garde-fous qui s’imposent si nous ne voulons pas désenchanter à jamais les jardins de la création.