En modifiant à nouveau cette semaine un certain nombre de ses règles relatives au harcèlement et aux discours de haine, le site de microblogging Twitter tente de juguler un phénomène qui semble être en plein essor sur sa plateforme. Une première série de mesures avait déjà été prise en novembre dernier pour contrer les comportements abusifs. Il s’agissait d’un filtre neutralisant certains utilisateurs ou certaines conversations et d’une nouvelle procédure pour dénoncer les utilisateurs perçus comme abusifs. À la mi-février, Twitter avait inauguré des exclusions de douze heures (« time-out ») censés calmer les trolls les plus virulents en rendant invisibles leurs tweets aux utilisateurs autres que leurs followers.
Manifestement, ces dispositifs n’ont pas suffi. Les nouvelles mesures concernent les résultats de recherche, qui peuvent désormais correspondre à l’option « safe search » de façon à éclipser des contenus agressifs ou inconvenants, et la timeline, qui escamote les tweets abusifs ou de mauvaise qualité (ceux-ci restent disponibles, mais il faut à présent cliquer sur un bouton signalant leur existence pour les visualiser). En outre, un effort vise à empêcher la création de comptes agressifs par des utilisateurs identifiés comme récidivistes.
Il est clair que la nature éminemment ouverte de Twitter, qui fait sa force, rend asymétrique la lutte contre les trolls. À peine un compte a-t-il été repéré et bloqué que le même utilisateur peut en créer un nouveau, si besoin en simulant une adresse IP différente, et reprendre sa croisade malfaisante. Il y a quelques semaines encore, une particularité des règles de Twitter facilitait grandement la vie des trolls : si après avoir harassé un utilisateur, celui-ci, en les bloquant, n’avait plus la possibilité de dénoncer les trolls. Cette anomalie a depuis été corrigée.
Twitter se doit de ménager ses objectifs en matière de publicité : ses revenus restent inférieurs aux attentes, son cours de bourse bas et son CEO sous la pression de ses actionnaires. Lorsque Twitter a cherché un acquéreur à l’automne dernier, aucun n’a voulu conclure, apparemment à cause de la perception que Twitter est devenu un haut-lieu des discours de haine. De fait, certains utilisateurs ont manifesté leur contrariété face aux trolls, qui ciblent des utilisateurs à coups de menaces de mort, d’insultes répétées, de propos diffamants ou de mensonges éhontés, poussant parfois des adolescents au bord du suicide. Et même s’il dit considérer la problématique comme prioritaire, Twitter se doit d’avancer de manière prudente sur ce sujet. La place prééminente que la société a prise dans le débat politique, notamment aux États-Unis où elle est désormais le porte-voix préféré du président, ne lui facilite paradoxalement pas la tâche. Toute intervention susceptible d’occulter ne serait-ce qu’une partie des débats qui s’y livrent risque d’être dénoncée comme censure, ou du moins comme faisant le jeu de la censure.
La porte-parole de Twitter a d’ailleurs reconnu que les algorithmes utilisés pour mieux identifier et neutraliser les utilisateurs au comportement abusif n’étaient pas sûrs à cent pour cent que des tweets immondes pourraient se jouer des filtres tandis que d’autres, inoffensifs, pourraient être indument exclus.
Lorsque le site avait annoncé son recours aux time-out à la mi-février, un chroniqueur de Forbes avait estimé qu’il « nous fait évoluer vers la fin de la liberté d’expression », lui reprochant de ne pas dévoiler quels types de mots ou de formules déclenchaient les suspensions et ne pas avoir prévu de bouton permettant aux utilisateurs s’estimant écartés injustement (par exemple suite à une mauvaise interprétation du contexte) de faire appel. On comprend que Twitter n’ait pas envie de révéler avec précision les critères sémantiques ou autres qu’il met en œuvre pour identifier ses trolls. D’un autre côté, avec le rôle de charnière entre monde politique et médias qu’il assume désormais, c’est bel et bien une fonction d’agora universelle en temps réel qui lui revient, et avec elle des responsabilités qu’on identifierait sans doute, de ce côté de l’Atlantique, comme relevant du « service public ».