Facebook a informé certains investisseurs qu’il est en mesure d’analyser l’état psychologique de ses jeunes utilisateurs et de faire correspondre à leur état les publicités qui leur sont soumises. Ainsi, des adolescents qui se sentent « stressés », « inquiets », « stupides », « nerveux », « sans valeur » ou « vaincus » verront des annonces susceptibles de leur redonner confiance en eux-mêmes.
Ces informations figurent dans un rapport interne que s’est procuré le journal Australian mais que celui-ci n’a pas publié dans son intégralité. Il aurait été préparé par deux membres du management de Facebook en Australie pour une banque à partir de données recueillies auprès de 1,9 million de lycéens, 1,5 million d’étudiants et trois millions de jeunes travailleurs australiens et néo-zélandais. Il est parfaitement plausible que le réseau social se soit livré à cette étude, qui suggère qu’il est bien plus engagé dans des démarches de manipulation de ses utilisateurs à des fins mercantiles qu’on n’ose imaginer.
Facebook s’est dans un premier temps excusé pour avoir mené ces recherches et a expliqué avoir entamé des procédures disciplinaires, pour ensuite critiquer l’article et son auteur, affirmant dans un courrier interne que le premier était « trompeur », que le second « publie des brûlots chaque lundi » et niant que Facebook « propose des outils pour viser les gens en fonction de leur état émotionnel ». La référence à la périodicité de l’article de l’Australian en évoque une autre, mentionnée dans l’étude, selon laquelle la période de lundi à jeudi est habituellement consacrée à des sentiments « anticipatifs », celle de la fin de la semaine à plus « de réflexion ». « Lundi à jeudi porte sur la génération de confiance, le weekend sert à faire état de ses succès », a rapporté l’Australian.
Il semble plus que plausible que Facebook ait bel et bien mené de telles recherches, en Australie et ailleurs. Un ancien responsable de Facebook chargé de monétiser les données recueillies auprès des utilisateurs du réseau, Antonio Garcia Martinez, a réagi dans le Guardian pour dire qu’une telle agrégation de données est techniquement possible. Certes, a-t-il commenté, la grande majorité des informations publiées par les utilisateurs de Facebook n’a aucune valeur marketing. Mais pour ceux qui s’attachent à concevoir le bon mélange de données sur l’âge, la géographie, l’heure du jour, les goûts musicaux ou cinématographiques, qui utilisent les ressources de l’intelligence artificielle et font suffisamment de tests, il est parfaitement possible d’obtenir des résultats très convaincants. Antonio Garcia Martinez reconnaît ne pas savoir s’il y a bien une pratique d’adéquation entre les publicités servies et les émotions, mais assure que Facebook propose un ciblage en fonction de classifications « psychométriques », qui permet de viser un public particulier dont le publicitaire pense qu’il sera sensible à son message. De telles pratiques sont naturelles pour Facebook sauf si le public s’y oppose massivement, fait-il valoir. Ainsi, la réaction à l’implication du réseau social dans la diffusion massive de fausses nouvelles lors des élections présidentielles américaines de 2016 a contraint Facebook à assumer ses responsabilités et à mettre en place des filtres.
Facebook reste à l’affût de nouveaux moyens de générer des revenus. Après avoir annoncé d’excellents résultats cette semaine, avec une croissance sensible de son chiffre d’affaires et de son bénéfice net, ses actions ont pourtant sensiblement chuté parce que la société a prévenu ses actionnaires que sa croissance serait nettement moins forte cette année qu’en 2016. La raison : Facebook atteint la limite de ce que ses utilisateurs (ils sont 1,994 milliard) sont prêts à tolérer en matière de publicités insérées dans leur timeline. Après les fake news, la manip émotionnelle marchande : si Facebook en est à jouer sur les émotions de ses jeunes utilisateurs pour satisfaire ses actionnaires, la vigilance est plus que jamais de mise.