Les fêtes des voisins, qui rassemblent les habitants d’une rue ou d’un immeuble pendant quelques heures au début de la belle saison, sont, « face à l’isolement et à l’individualisme, (...) un rendez-vous qui favorise les contacts et développe le lien social. C’est l’occasion de rencontrer ses voisins pour développer la convivialité », explique sur son site web l’Association luxembourgeoise des solidarités de proximité, une Asbl soutenue par les ministères du Logement, celui de la Famille ainsi que par le Syvicol. Resserrer les liens de voisinage, jouer la convivialité locale, c’est donc lâcher ses écrans et sortir de son cocon, se retrouver dehors avec ses congénères et partager avec eux un bon moment autour d’un verre et d’amuse-gueules, n’est-ce pas ?
Pas nécessairement si l’on en croit les promoteurs des réseaux sociaux qui visent ce créneau encore relativement peu labouré. Nextdoor.com, aux États-Unis, a réussi à faire de la convivialité entre voisins un modèle d’affaires. Sarah Leary, qui l’a créé en 2011 pour offrir ce qu’elle ressentait comme une dimension manquante sur Facebook, sillonne en ce moment l’Europe pour poursuivre de ce côté de l’Atlantique une expansion qui lui a bien réussi sur son marché d’origine, avec selon ses indications 140 000 voisinages actifs. La vision ressemble beaucoup à celle de la fête des voisins : nous avons accès en permanence aux informations planétaires et sommes en contact avec des « amis » éparpillés dans le monde entier, mais ne connaissons souvent aucun de nos voisins immédiats. En partageant des informations locales, en lançant des initiatives et en participant à des marchés de proximité promus par des petites annonces, les habitants d’une micro-région urbaine ont la possibilité de créer des liens de proximité. La procédure d’adhésion reflète ce caractère local : une personne qui souhaite rejoindre une communauté Nextdoor indique son adresse pour recevoir ensuite une carte postale avec son code d’accès.
Nextdoor, qui a atterri l’an dernier en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas, vise à présent l’Allemagne. Son représentant dans ce pays, Markus Riecke, dit avoir déjà établi une présence dans 71 voisinages à Berlin. Mais il s’attaque à un réseau similaire déjà existant, Nebenan.de, dont les animateurs n’ont pas l’intention de se laisser manger la laine sur le dos. Son fondateur, Christian Vollmann, se présente comme le réseau dominant (« wir sind der Platzhirsch ») en Allemagne et fait valoir au Tagesspiegel que compte tenu du caractère éminemment local de ce type de réseau, une présence internationale comme celle de Nextdoor ne représente pas nécessairement un avantage. Il estime aussi que les voisinages ne sont pas aussi volages que les individus en matière de réseaux sociaux : une fois qu’une communauté a adopté une plateforme, elle n’a pas de véritable raison d’en changer. C’est d’ailleurs ce qui a poussé Nextdoor à racheter, pour une somme chiffrée en millions, son concurrent établi en Grande-Bretagne, Streetlife. De son côté, Nebenan.de vient de reprendre son concurrent plus petit, WirNachbarn. Mais Sarah Leary et Christian Vollmann sont d’accord qu’un tel scénario de rachat est exclu en Allemagne.
Ces réseaux de voisinage partent sans doute d’un bon sentiment. Les villes génèrent des situations de grande solitude, et les réseaux sociaux comme Facebook ou Instagram finissent, de manière paradoxale, par les entretenir en poussant leurs utilisateurs vers des activités superficielles qui s’effectuent seul, le regard rivé sur un écran. Que l’on en soit maintenant à recourir à des interactions de type réseau social pour créer des liens entre voisins en dit long sur la dégénérescence sournoise de nos existences sociales produite par l’omniprésence des Facebook et autres plateformes. Quoi de plus simple que de frapper à la porte de ses voisins, de se présenter et d’entamer avec eux une conversation de vive voix, entre humains ? S’il nous faut vraiment désormais passer par une application pour apprendre à connaître ceux qui vivent au bout du couloir ou dans la maison voisine, nous avons peut-être davantage été transformés en zombies que nous ne sommes prêts à l’admettre.