Soudain, il était comme le grand-duc. À deux heures et quart de la nuit, un jour fin mars 2011, Nico Graf a eu un malaise, s’est senti mal, a eu très mal – et s’est retrouvé à chercher la définition de l’angina pectoris sur Internet. Sans vouloir réveiller ou faire paniquer personne, il a attendu le petit matin avant de se rendre lui-même chez le docteur. Qui le fait attendre. Puis le transfère à l’hôpital, qui le fait attendre, puis passer des tests, et là, panique : vous avez eu un infarctus. Minimal, mais il aurait pu être mortel. Opération, soins intensifs, questions existentielles, réhabilitation... Le journaliste et commentateur politique à RTL Radio Lëtzebuerg raconte tout ça dans le détail, au jour le jour, dans le chapitre ...an aner Stéierungen de son dernier livre, Dat ass ze haart, publié fin décembre chez Ultimomondo. Et ça fait bizarre, de se retrouver ainsi dans son intimité, dans ses doutes, ses angoisses – qu’il contrebalance toujours avec son humour acerbe et beaucoup d’ironie –, alors que justement, le journaliste s’acharne toujours à créer une certaine distance par rapport à ses sujets.
Cet accident cardio-vasculaire l’a-t-il changé ? A-t-il changé sa manière de voir le monde, de commenter les petites guéguerres intestines du microcosme politique luxembourgeois ? Peut-être qu’il est devenu plus calme, moins prolixe, moins enragé – mais ce n’est pas si sûr. Moins présent à l’antenne, certainement. Mais c’était peut-être aussi dû à l’actualité politique, plus internationale et communale que nationale durant et après l’été 2011.
Dat ass ze haart reprend les commentaires de Nico Graf des trois dernières années, et continue ainsi là où Dat seet een net ! (Ultimomondo 2009, voir d’Land du 23 avril 2010) s’est arrêté. Ses sujets de prédilection sont restés les mêmes, et se résument en gros au démontage des mythes constitutifs du Luxembourg, de son histoire à aujourd’hui. L’importance symbolique des femmes – Gëlle Fra, Muttergottes et grande-duchesse Charlotte –, le rôle plus physique (Andy et Fränk Schleck) ou intellectuel (Jean-Claude Juncker) des hommes, la sacralisation de la place financière, la crise de l’euro et de l’Europe, la maladie de la tri-partite, les démissions de mandataires politiques (Jean-Louis Schiltz, CSV, Jeannot Krecké, LSAP...), les affaires comme le projet immobilier à Livange et les petits scandales à l’armée (affaire Ries) ou au commissariat de police (affaire Schmit) – Dat ass ze haart est aussi une sorte de rétrospective de l’actualité politique des dernières années.
En même temps, les textes deviennent de plus en plus détachés, s’inscrivant dans l’histoire du pays et dans celle de sa propre famille à Senningerberg, les souvenirs d’enfance rejaillissent, les textes deviennent plus littéraires, riches en références à la mythologie classique et religieuse, la langue plus maîtrisée, plus mûre. Et comme l’histoire se répète, Nico Graf aura certainement remarqué que son livre s’ouvre avec une chronique non-publiée sur l’affaire Lady Rosa de 2001, et qu’il parut au moment même où s’ouvrit au Moma à New York une grand rétrospective de l’œuvre de la créatrice de ladite sculpture, Sanja Ivekovic – avec « notre » polémique nationale autour de la copie enceinte en son centre.