Seule en scène, dans une performance de plus d’une heure et quart, Anne Brionne a tenu en haleine, en éclats de rire et en émotion la petite salle comble du théâtre du Centaure. La salle de spectacle du centre historique de Luxembourg coproduisait, du 14 au 29 mars, avec l’association Ici et Maintenant, Ce soir j’ovule, de Carlotta Clerici. L’histoire de Clara qui a décidé de faire un bébé avec l’homme qu’elle aime. Mais le bébé ne vient pas. Il ne viendra jamais.
Parler de « performance » peut sembler un peu péjoratif, réducteur à tout le moins, laissant penser à un « simple » exploit sportif. Le monologue d’Anne Brionne n’en était pas moins pour autant une vraie performance, physique, mais pas seulement. Drôle, émouvante, dynamique, la comédienne est passée et a fait passer le spectateur par une belle palette d’émotions.
Carlotta Clerici, dont toutes les pièces sont éditées chez L’Harmattan et Les Cygnes, a créé cette pièce, actuellement en tournée, en mars 2009 à Lerici, en Italie. Son texte C’est pas la fin du monde a déjà été coproduit, l’année dernière au Neimënster, par l’association Ici et Maintenant.
Ce soir j’ovule possède la vivacité et la force qui sied au vaste sujet de la maternité, qui plus est déclamé par une femme en recherche de maternité, précisément ; on mord dedans, tour à tour, comme dans une orange rafraîchissante, un pamplemousse doux, un citron acide. On y navigue comme dans ce plateau d’agrumes, passant d’une émotion à une autre. Jamais vulgaire, mais parfois cru, la pièce n’hésite pas à mimer un acte sexuel où à présenter la croupe de la comédienne à quatre pattes au public, dans un passage hilarant questionnant notre rapport entre animalité et procréation.
Le texte aborde la stérilité féminine par tous ses aspects, amoureux, affectifs, de filiation, moraux, sociaux. Par petites touches, Anne Brionne donne traits à une galerie d’autres personnages. On y rencontre le père hésitant sur la définition de sa fille adolescente – « menteuse ou putain » –, les féministes « historiques » clamant « mon corps m’appartient », la copine Annabelle, écolo de l’extrême, la collègue adoptante. Le mari, aussi. Qui bien sûr ne vit pas l’attente de la même façon que sa femme. Le premier mois :
« Je vais aux toilettes, je baisse ma culotte... une trace rouge s’y découpe, comme un ricanement... », raconte Clara au public. À son mari, l’air détaché : « Rien ce mois-ci ! » « Rien quoi ? » répond celui-ci. Au public, de nouveau : « Comme s’il pouvait y avoir autre chose au monde... »
Ce soir j’ovule est l’histoire de cette attente, d’abord pleine de joie et d’espoir, puis lourde, de plus en plus lourde. L’histoire de cette pression sociale, visible ou plus insidieuse. L’histoire d’une médecine de la fertilité qui a pris possession des corps. Si les passages répétés chez le gynécologue et la cohorte de médicaments prescrits trainent un peu en longueur, la description de la violence infligée au corps féminin à travers la course à la FIV est saisissante.
La mise en scène d’Aïcha Rapsaet, tout en simplicité et très juste, a la saveur d’une confession intime, accentuée par la configuration des lieux avec cette belle scène plantée dans une cave voûtée aux pierres apparentes. Elle a notamment trouvé cette très judicieuse idée de draps multifonctions ; d’abord recouvrant tout simplement les fauteuils du grenier, où des fragments de vie du couple sont disséminés ça et là, ils deviennent draps où on se love pour faire l’amour, draps sous lesquels on se cache, de honte, de peur, draps qu’on agrippe pour crier sa douleur. Des draps en mouvement qui font vivre l’histoire d’un bout à l’autre, comme ses mouvements qui agitent Clara jusqu’au bout d’un chemin qui redevient le sien, enfin, à la toute fin.