Le racisme, c’est mauvais. Mais alors vraiment : mauvais. Faut pas être raciste. Jamais. We are the world, The Russians love their children too, Jeder ist Ausländer, fast überall, Touche pas à mon pote ! – tout ça. Voilà. Et maintenant, quoi ?
Pour son cinquantenaire, le Kasemattentheater a non seulement publié un livre anniversaire, mais aussi voulu lancer une création, une commande de textes originaux à des auteurs autochtones sur le sujet des migrations, histoire de renouer, thématiquement, avec Die Emigranten, cette pièce oubliée de l’auteur polonais Slawomir Mrozek que jouaient Tun Deutsch et Fernand Fox avec beaucoup de succès lors de la création du théâtre, en 1975. Les migrations furent donc le thème imposé, chacun étant libre d’écrire ce qu’il voulait (d’ailleurs, il faudrait analyser un jour pourquoi l’anthologie est le genre littéraire dominant au Luxembourg, de Walferdange au Buch am Zuch). Le résultat de cet appel à création, qu’on peut voir sous le titre un peu trop pompeux Furcht und Wohlstand des Luxemburger Landes en ce moment rue du Puits, est on ne peut plus éclectique et inégal. À la metteure en scène Carole Lorang le défi énorme de faire en sorte que la sauce prenne entre ces saynètes allant de la boutade de cabaret rapide à l’élégie mélancolique.
Visiblement, le sujet, trop évident, trop plat, a un peu gêné une partie des auteurs, qui essayent de s’en tirer avec des subterfuges, des pirouettes. Ainsi de Guy Helminger, dont la scène Et ass nach näischt verluer ridiculise les fans de football qui passent leurs après-midis à insulter tous les joueurs du bord du terrain, joueurs qui, bien sûr (attention, cliché !) sont tous étrangers, et, selon leur provenance, ont des qualités intrinsèques liées à leur nationalité (l’Africain est une gazelle, le Yougoslave voleur etc). C’est rapide, il y a de la verve, c’est bien joué (Raoul Schlechter et Marc Limpach) – ah, une soirée de cabaret qui s’annonce ? Suit Le sacrifice de Ian de Toffoli : deux sœurs (Renelde Pierlot et Eugénie Anselin) racontent les histoires que leur rapportait leur grand-père récemment défunt, ouvrier immigré jadis d’Italie, de la dure vie de chantier. Peu à peu, elles se rendent compte que ce n’étaient que des légendes. Le ton est beaucoup plus dur, les sorts cruels, on frise parfois le pathos. Ah, la soirée serait-elle en train de tourner ?
Vient la pièce d’Elise Schmit, Kryptorassisten : deux Luxos bien balourds s’en prennent à Annie, leur copine, parce qu’elle voit un grand Africain, Omar, qui n’a pas d’amis, personne à qui parler. Les deux gars sont persuadés qu’il est dealer, menteur, fainéant et qu’il baise Annie. Qui s’en défend, explique qu’il est juste un ami, qu’ils parlent. Bien écrite, la pièce pourtant est trop manichéenne : les garçons, blancs, Luxembourgeois, racistes d’un côté, et de l’autre Annie, la femme, la gentille, pleine de compréhension pour cet Omar qu’elle décrit comme une victime de sa couleur de peau.
Or, comme l’aurait dit Woody Allen, la connerie étant égalitairement partagée sur tout le globe (à l’exception de quelques cantons suisses), il se pourrait aussi qu’un non-Luxembourgeois soit raciste – envers les Luxembourgeois (pour cela, il suffit de lire les commentaires sur les sites internet dédiés des frontaliers). Mais là n’est pas le propos de Furcht und Wohl-stand… (titre qui fait référence à Furcht und Elend des Dritten Reiches de Bert Brecht) : la pièce du Kasemattentheater veut rendre hommage aux étrangers, à ceux qui, comme l’explique le dépliant, de nombreuses statistiques à l’appui, contribuent tous les jours à la richesse du pays, par la force de leurs muscles ou de leurs cerveaux.
Nathalie Ronvaux, avec Au suivant, un autre texte bien écrit, mais surtout interprété avec un grand talent humoristique (rythme, précision, arrogance pince-sans-rire) par Renelde Pierlot et Eugénie Anselin (vraiment brillante ici), a inversé un peu le schéma classique du service de l’immigration luxembourgeois. Ici, c’est un Luxembourgeois qui veut revenir s’installer au pays, mais il lui manque encore quelques papiers. Son cas prouve l’absurdité de l’administration et le cynisme de ces employées qui ne pensent que chiffres et Stempel ! Son esquive, intelligente, rappelle toutefois un peu trop le Weilerbach de Serge Tonnar (2006), qui jouait déjà sur le ridicule des fonctionnaires censés s’occuper de sorts humains, mais qui ne font que gérer des dossiers.
Claudine Muno a choisi un autre parti-pris en faisant parler un téléviseur produit en Corée du sud et qui raconterait son périple jusque sur une déchetterie luxembourgeoise ; Nico Helminger fustige la cruauté du marché de l’emploi, ou des recruteurs forcent des employés à « vendre » leurs collègues pour prouver leurs talents de VRP et Sandra Sacchetti plombe un peu l’ambiance avec les histoires (réelles) de demandeurs d’asile déboutés du Kosovo et de leur retour dans ce pays où ils n’ont plus de vie. Finalement, le texte le plus intéressant est Coconuts de Marc Limpach (le seul écrit en anglais), notamment pour le contre-pied qu’il prend : ici, ce ne sont pas les Luxembourgeois qui parlent des étrangers, mais une étrangère qui parle des Luxembourgeois. Et en plus, une étrangère économiquement plutôt bien située, awareness coach pour les nouveaux immigrés américains, auxquels elle veut expliquer la complexité de l’âme luxembourgeoise. Pour que ses élèves puissent éviter les pièges interculturels – et vendre plus et mieux. Leila Schaus est désopilante en Américaine toooooo much, avec son enthousiasme à revendre, ses baskets avec un tailleur et ses yeux écarquillés. Et ce sont à nouveau les Luxembourgeois qui en prennent pour leur grade, froids, distants, renfermés qu’ils sont.
À la fin du spectacle, qui ne dure qu’une heure quinze, on se dit que c’est vrai, faut pas être raciste. Mais ce serait encore plus simple de ne pas être con. Tout court.