Set the stage
Pierre Gramegna (DP) aurait dû serrer la main de Snoop Dogg mercredi. Mais le rappeur et investisseur américain annoncé, comme le ministre des Finances, sur l’affiche du Global Venture Summit ces mercredi et jeudi, n’est pas venu. Snoop Dogg devait intervenir sous sa casquette d’investisseur à risque, ou plutôt de venture capitalist, idiome qui sied le mieux au petit monde qui a fait le déplacement de la Silicon Valley jusqu’à la capitale de la Minett. Mais l’investisseur dans les jeunes pousses aux noms évocateurs (Miss Grass, Merry Jane, Cannalysis ou Indose) a laissé débarquer ses compatriotes sans lui. Il demandait trop d’argent selon l’organisateur Ahmed Shabana de Parkpine Capital. « Un million de dollars », nous indique-t-il. Pierre Gramegna se contentera de quelques mots échangés avec Billy Zane. L’acteur aperçu dans Zoolander et détesté dans Titanic (il joue le richissime fiancé de l’héroïne Rose) s’associe à l’initiative de Parkpine Capital, société californienne qui capitalise sur ces sommets thématiques où l’on espère signer deals sur deals. Et pas seulement avec Snoop.
Le Global Venture Summit entend favoriser les investissements dans des sociétés à un stade précoce (c’est ce qu’on désigne par venture capital). Il est annoncé depuis le mois d’avril à grand renfort de marketing… y compris des vraies fausses annonces pour mieux vendre cette plateforme de rencontre entre ces firmes qui ont de l’argent, les ventures, et les porteurs locaux de projets novateurs, notamment dans les nouvelles technologies. L’organisateur avait promis la présence d’une certaine Lindsey Pelas, influenceuse à la plastique généreuse, qui a pour principaux liens avec le monde de la tech ses millions d’abonnés sur insta et son titre de cybergirl Playboy. Elle n’est pas venue, elle non plus.
Overvaluation Outre les manifestations d’optimisme débordant de la part de l’organisateur, l’événement qui amène la « Silicon Valley to the world » a pour but de fédérer autour de la thématique du venture capital. Il s’agit de l’argent dont les jeunes sociétés peuvent avoir besoin pour se développer après avoir dépassé le cercle de la famille et des amis, voire après avoir atteint un certain niveau de rentabilité. « Une fois la vallée de la mort traversée », disent les venture capitalists. Ils se spécialisent dans l’identification de ces sociétés à fort potentiel puis y investissent. Pour cela, ils lèvent l’argent auprès d’institutionnels comme des assurances, des fonds de pension ou de banques, ainsi que de familles fortunées. On dit dans le milieu que neuf start-up investies sur dix font faillite ou presque. La dixième, « the dragon », doit permettre au VC (prononcer « vici ») de rentrer dans ses frais. S’il y en a plus, tant mieux. Le partner prend en général une commission (carry interest) de vingt à 25 pour cent à l’exit, la cession des parts.
Selon l’étude Venture Pulse de KPMG, le volume et la valeur des transactions de ces firmes ont fortement augmenté depuis 2010. En neuf ans, la somme des transactions est passée de cinquante milliards de dollars à 240. La valeur médiane des deals est passée de 2,1 millions de dollars en 2010 à 5,5 pour le early stage (à un stade précoce de développement), de six à 11,4 pour le later stage. En revanche, le nombre de créations de start-up et de deals a sensiblement diminué ces trois dernières années, de vingt pour cent environ. Faut-il y voir la raison de l’intérêt que portent les investisseurs américains vers l’extérieur ? Le venture capital ne se cantonne plus à la Silicon Valley. Selon la classification de KPMG, les sociétés éditrices de logiciels (softwares) sont celles intéressant le plus les « VCs » (environ quarante pour cent), devant celles opérant dans la santé (une vingtaine de pour cent) et les services commerciaux. Au Luxembourg, on met évidemment la place financière en avant. La Lhoft, où logent les sociétés de la technologie financière, a été chargée de promouvoir le venture capital. Son directeur général Nasir Zubairi a signé en avril à San Francisco avec Ahmed Shabana (Parkpine) un accord selon lequel un Global Venture Summit sera organisé tous les ans au Grand-Duché jusqu’en 2022. C’est en tout cas ce qui était écrit dans le communiqué suite à la signature. On n’a donc pas fini d’entendre parler du thème. D’autant plus que le venture capital appartient au monde, plus grand, du private equity, de l’investissement dans des sociétés non cotées en somme. L’industrie est aux aguets. Son lobby, le LPEA (Luxembourg Private Equity Association), cofinance l’événement. Les avocats y occupent une bonne place. Le développement du secteur dépend grandement du cadre légal et fiscal en la matière. pso
On stage
Pas de Snoop Dogg ni de Lindsey Pelas ce mercredi matin sur la scène de l’auditorium de la Maison du savoir, mais le ministre Pierre Gramegna et l’acteur Billy Zane. Le Global venture summit démarre timidement. Le brouillard hivernal a-t-il intimidé la centaine d’investisseurs californiens annoncés ? Les précédents rassemblements avaient été organisés à Bali (Indonésie) et à Guadalajara (Mexique). Le prochain se déroulera à Riyad (Arabie saoudite). Devant une centaine de personnes et au moins autant de sièges vides, le ministre libéral défait le nœud de sa cravate pour arborer « son Silicon Valley style ». S’enchaînent ensuite les arguments promotionnels d’usage. L’Europe va bien. Le Luxembourg a bâti sa richesse sur l’acier, mais a su se diversifier, notamment grâce à une juste dose de régulation. Les opérateurs de paiement y ont établi leurs quartiers généraux européens (Paypal, Amazon, Rakuten ou Alipay sont pris en exemple). Le Luxembourg est la deuxième juridiction internationale pour la distribution de fonds, derrière les États-Unis, avec « cinq trillions de dollars sous gestion »… et de conclure le chapelet par un émouvant « close to our heart, close to our business priorities, welcome to Luxembourg ». Pierre Gramegna remettra sa cravate avant d’enregistrer son entretien avec RTL.
Mise en abîme Les interventions des orateurs, dont une poignée de venture capitalists, révèlent les ficelles du spectacle que peut constituer cet univers de l’investissement. D’abord, une cause doit souvent précéder l’intérêt du gain. Après avoir mis sa notoriété au service des énergies renouvelables auprès des Nations unies, l’acteur Billy Zane dit l’utiliser pour bâtir des coopérations « win-win » dans le monde du venture capital. « The storytelling is one of the reasons I jumped in this party », ajoute-t-il. Pour l’intéressé, chaque société devrait créer un département « mise en scène ». « It’s more than marketing », dit-il. Présenter son projet dans cet univers nécessite de maitriser certains codes, comprend-on. Malheureusement, le responsable capital risque pour le Fonds européen d’investissement (FEI), David Dana, n’aura pas droit à la projection de son Power Point sur les écrans géants. Ce malgré des suppliques répétées. Plus tard, mercredi après-midi, Eric Bielke, venture capitalist américain et directeur investissement chez GE Ventures dira à un entrepreneur : « The pitch deck is about showing how good a showman you could be ». Révélateur. Peu après, le VC qui place les sous de l’acteur Will Smith, annoncé seul, monte sur scène avec une collaboratrice de Forbes qui déroule une interview commandée, à la surprise de l’animatrice. L’apparence, le travail sur le caractère désirable, la valorisation subjective détermine pour une partie significative la valorisation objective, en monnaie sonnante et trébuchante, d’une entreprise. Les venture capitalists ne le savent que trop bien. Leur présence dans l’actionnariat se limite à six, sept ou huit ans, période à l’issue de laquelle ils espèrent vendre au meilleur prix.
La mise en scène doit convaincre. La startup VNX a cassé sa tirelire pour figurer en bonne place dans le programme. Son nom sonne déjà familier. Cette fintech russo-luxembourgeoise (hébergée à la Lhoft) s’est déjà associée les services de l’avocat (et VRP) Luc Frieden et de l’éminent Michael Jackson (anciennement Mangrove et Skype) pour annoncer, dès l’automne 2018, son prochain lancement. Ce mercredi, le ministre des Finances, le directeur général de la Lhoft, l’ambassadeur de Corée du Sud et le patron de la société, Alexander Tkachenko, sonnent la cloche devant les appareils photos et le public. Cette entreprise des fintech accueille officiellement son premier client. VNX met sur le marché des tokens adossés à des actifs porteurs d’une valeur de trois millions d’euros, en l’occurrence des obligations convertibles émises par la société coréenne Streami, bourse et chambre de règlements de cryptocurrency. Dans l’esprit d’Alexander Tkachenko, les transactions réalisées (via la blockchain) sur sa plate-forme de marché doivent rendre plus liquide la finance internationale, notamment l’univers du venture capital, dans lequel les différentes étapes d’investissement (A, B, C, D… Series en fonction de la séniorité du titulaire des parts) ralentissent l’arrivée de nouveaux actionnaires… et donc ralentissent les développements. C’est bigrement compliqué. Un panel de spécialistes aux très respectables pédigrées (dont l’avocat du digital Jean-Louis Schiltz et Radu State, chercheur spécialisé à l’Université du Luxembourg), bien sûr acquis à la cause de VNX, monte sur scène pour en vanter les mérites. Face à tant de complexité, un peu de complicité aide, d’autant qu’elle n’enlève rien, aux yeux des observateurs interrogés, à la pertinence du projet. Beaucoup, dans les couloirs de la Maison du savoir, voient en VNX le futur des bourses. Reste à répondre à la question de la régulation et de savoir dans quelle case placer cet ovni du marché. Service de paiment ? Plate-
forme multilatérale de négociation ? pso
Backstage
La première édition du Global Venture Summit démarre dans un léger chaos. L’absence de réponse aux demandes d’accréditation des journalistes sur le site de l’organisateur Parkpine avait annoncé la couleur. Dans un questionnaire inédit en la matière, la société californienne pose ses conditions. « If you’re a journalist reporting for a major media outlet or a private blogger with a considerable audience, we’d be happy to have you join as our guest. » Sinon, il faut payer plusieurs centaines de dollars. Personne ne répondra jamais au formulaire rempli dix jours avant l’événement. L’organisateur local, la Lhoft, rattrape le coup avec volontarisme. Mais les journalistes des grands médias internationaux sont absents. Mercredi matin, les participants qui ont bravé le brouillard et le froid peinent à trouver du café dans l’antichambre de l’auditorium. Il est servi dans un autre bâtiment et la signalétique pêche. La machine Nespresso sur le stand de Luxembourg for Finance, devant l’entrée de la salle, tourne à plein régime pour combler le déficit. La réalisation semble défaillante. Musique d’ambiance et micro pour les questions de la salle manquent. Plusieurs participants remarquent ces détails. Les porteurs du projet au Luxembourg aussi, mais d’autres leurs paraissent plus importants. Plusieurs têtes d’affiche ne viennent pas. Le nombre de venture capitalists américains annoncés, une centaine, n’y est pas non plus. Des parties prenantes à l’organisation témoignent qu’une vingtaine ont fait le déplacement. Une autre vingtaine viendrait du reste du monde. La collaboration avec Parkpine (elle avait commencé en avril par un déjeuner en Californie en présence de la société et d’investisseurs) ne s’est pas bien passée. On n’envisage plus du tout dorénavant de la reconduire. Le thème du venture capital garde toutefois toute sa pertinence. « Cela peut se faire avec une autre société », nous dit-on.
Sécession Concernant l’ambition de rapprocher les porteurs de projets et les bailleurs financiers, les témoignages divergent. Une quarantaine d’entrepreneurs, membres de la Lhoft, de la House of Start-ups ou du Technoport, ont installé leurs stands dans la Maison des arts et des étudiants, à quelques dizaines de mètres. Billy Zane et Ahmed Shabana (Parkpine) font le tour des exposants pour montrer l’exemple. Mais mercredi en fin d’après-midi, peu d’investisseurs, nous dit-on, avaient fait part de leur intérêt. Ce malgré l’enthousiasme manifeste des entrepreneurs. Le concours de pitching jeudi après-midi donnera l’occasion de nouer les liens. Car la « startupers night » organisée au Technoport mercredi par la Lhoft n’a pas permis de les tisser. Le Premier ministre y a certes fait un saut à l’improviste. Plutôt que de se présenter jeudi matin à la conférence, comme indiqué sur le programme, il débarque en début de soirée mercredi quand les participants n’en sont qu’à leur première (ou deuxième) Fox, servie en bouteille alu estampillée GVS. « On m’a dit que vous seriez plus attentifs avec une bière dans la main plutôt qu’un café », plaisante Xavier Bettel (DP) dans un discours largement improvisé et principalement adressé à des investisseurs internationaux de passage. « Allez voir Luxembourg, c’est très beau. Et ne me dites pas que vous n’avez pas le temps, ce n’est pas si grand. » Or, l’assemblée est principalement composée d’entrepreneurs basés au Grand-Duché. Les investisseurs américains dînent dans la capitale. Ils participent au Sofitel à la soirée annuelle de Luxembourg for Finance en présence du gratin, dont le ministre Gramegna. « Là où il fallait être », nous dit-on. De retour à Belval ce jeudi, un venture capitalist américain s’entretient avec un compatriote installé pour les affaires au Grand-Duché. La conversation tourne tout de suite autour des « prix de transfert » et de Beps (plan de l’OCDE contre l’érosion de la base fiscale des entreprises). L’impression générale quant au Luxembourg semble positive. Au journaliste, Alex Estevez (venture partner chez Accel) témoigne : « My first time here. The city is amazing. » Affaires à suivre.