Il est des concepts qui s’invitent à l’emploi, à un emploi facile, et ils prennent alors des airs d’étiquettes, aisées à mettre sur telles choses, pour y mettre de l’ordre, quitte à aller dans le sens d’une réduction, d’une simplification. Tant de choses, au fil des décennies, des années, sont dites nouvelles, on n’en finirait pas l’énumération, d’un breuvage qui revient tous les automnes à une période du cinéma rapprochée du mouvement de la mer. La modernité est du même acabit, ou les modernismes qui, à défaut d’une définition plus restrictive, plus précise, réfèrent à toutes sortes de ruptures, dans la vie intellectuelle en général. Au point que presque toute génération a sa querelle des anciens et des modernes.
Au milieu du XIXe siècle, Baudelaire fait d’un artiste, oublié aujourd’hui plus ou moins, le héraut de la modernité, peintre de la vie moderne, définissant cette dernière comme le transitoire, le fugitif, le contingent, opposés à l’autre moitié de l’art, immuable, éternelle. Très justement, le poète ajoute qu’il y a eu une modernité dans chaque peintre ancien. Et à la place du milieu du XIXe, la modernité va se situer d’autant plus heureusement au passage des siècles, avec l’élan romantique d’abord, tant de ruptures après, même avant la Première Guerre mondiale, où l’on se rappelle l’inscription de tel bâtiment viennois, véritable manifeste artistique que la Sécession, « der Zeit ihre Kunst, der Kunst ihre Freiheit ».
Deux exigences qui vont s’imposer, au long d’un bon siècle. Celui qu’embrasse justement le livre édité dernièrement par le Centre national de littérature, à la suite d’un colloque sur le sujet des modernismes au Luxembourg. Et pour rester dans l’image, il embrasse large, à tous points de vue, domaines traités (où l’on constate cependant l’absence de la musique, plus logiquement du cinéma), démarches suivies, langues employées. Ce n’est pas un reproche, au contraire, cette interdisciplinarité, et bien des fois c’est en plus fort bien étreint. Bien sûr, la lecture n’en est pas facilitée, un peu à saute-mouton, à moins que le lecteur ne fasse son choix, y aille à sa guise.
L’introduction, sur une vingtaine de pages, en anglais, jusque pour les citations qui ont été traduites, s’efforce d’éclairer le parcours, mêlant entre autres sociologie et esthétique, insistant beaucoup sur ce qui est dit quant aux relations (tardives, retardées) avec l’étranger ; et dans ce sens, on retiendra la volonté de dépassement de tout dualisme, « circumstances and conditions informing what is familiar – or traditional – are context-specific, which is why it makes sense to examine national phenomena of modernisation and modernisms, rather than to prioritise transnational movements, currents, and styles ».
Logiquement, et dans l’air du temps présent (qui va nous gratifier d’une galerie d’art national), on embraie de suite sur Félix Thyes et son Essai sur la poésie luxembourgeoise, il est vrai à une époque où la nation se met en place (alors qu’aujourd’hui, peut-être parallèlement au postmodernisme, à en croire un homme comme Robert Menasse, on devrait aller vers une Europe trans- ou postnationale). Suivent des articles, textes plus ou moins longs, de survol, très détaillé, sur l’architecture, sur les arts plastiques, avant que pour la littérature, on n’ait des analyses plus particulières, de tel ou tel aspects chez un poète, un romancier. Ce qui mène de Batty Weber, et une sorte de modernisation de la lecture de son Fenn Kass, à la lumière de l’écologie, à Jean Portante, en passant par Nicolas Konert, Edmond Dune (situé, lui, entre avant-garde et arrière-garde) et Jean-Paul Jacobs.
Un point de vue autre est pris dans la contribution intitulée Vom Ende der Bescheidenheit, rupture – Epochenschwelle – située dans les années soixante. Et un peu dans une perspective proche de Bourdieu, elle s’en va d’abord du côté des conditions de production littéraire, refusant par ailleurs dans une note la notion même de Nationalliteratur pour la remplacer par autre chose, « der Begriff des Literatursystems umfasst sowohl literarische Texte, als auch literarische Institutionen, Aktivitäten und Akteure und erlaubt es somit, literarischen Wandel au seiner literatursoziologischen Perspektive zu beschreiben ». Ce qui vaut bien sûr pour toutes les disciplines, permet surtout de cerner de façon plus serrée des notions qui autrement n’ont que trop tendance à se disperser.