Microdrames

L’amour et les voisins

d'Lëtzebuerger Land du 23.12.2011

Au centre, il y a cette femme qui aime deux hommes, qui ne veut pas se décider entre le mari et l’amant, entre la bonté et la passion charnelle. Elle est parfois la voisine, parfois une sans abri, parfois aussi l’absente dont parlent les hommes – le motif, en tout cas, revient toujours et encore dans les neuf Microdrames que le jeune auteur luxembourgeois (il a tout juste trente ans) Ian de Toffoli a réunis en saynètes très brèves (le spectacle fait en tout une heure) pour une soirée mise en espace par Anne Simon et jouée pour une représentation unique vendredi dernier, dans le cadre de la résidence de l’auteur au Théâtre national du Luxembourg. Ses personnages n’ont pas de noms, ils sont « un homme », « une femme » ou « le deuxième homme ». Ils n’ont pas besoin de noms, car ils sont universels dans leur quête aussi commune qu’impossible du bonheur.

La grande réussite de l’écriture de ces Microdrames est que Ian de Toffoli, loin du jeune auteur romantique un brin trop ambitieux qu’il fut à ses tout débuts, ose enfin décrire la banalité de l’existence avec des mots simples. Comme ce metteur en page d’avis mortuaires d’un quotidien, exaspéré des fautes grammaticales ou d’orthographe dans les avis qu’il reçoit, plein de compréhension pour la grande peine dont souffre la famille en deuil, dépassée par « bataille administrative » que représente la gestion d’un décès, mais néanmoins agacé par le peu d’application dont font preuve les proches d’un défunt lorsqu’il s’agit de calculer son âge exact au moment de sa mort ou de l’accord d’un verbe dans l’annonce. Ou ce couple à bout, lui le gros plouc sans aucune finesse, elle la femme au foyer déprimée, dont l’affrontement tragique n’est qu’une question de temps. Un peu plus loin, nous faisons la connaissance de trois voyageurs dans un même compartiment de train qui, à force de parler de banalités absurdes, finissent par s’agresser dans d’incroyables théories de la conspiration sur les transports en commun en particulier et la société en général.

Bien qu’il ne s’agisse que d’une seule soirée, en « lecture scénique » en plus – donc les acteurs ont les textes en main, c’est la mode actuellement dans tous les petits théâtres au Luxembourg, aussi à cause des budgets restreints –, Anne Simon s’en est donnée à cœur joie dans la mise en espace de ces saynètes touchantes et grinçantes à la fois, en faisant un ballet d’impromptus et d’images fortes. Avec deux guitaristes, Sid Mysore et Jamie Reinert, qui jouent en live sur scène, et qui interviennent même en tant que personnages dans la pièce, elle lui donne une touche contemporaine, une ambiance un peu plus underground qu’avec un concerto de Schumann venu du off. Avec Sophie Langevin, Raoul Schlechter et Luc Schiltz, elle avait en plus d’office l’assurance de pouvoir compter sur des acteurs très forts dans les demi-teintes, les petites émotions et les interstices qu’offre le texte. Ils tournent le dos au public, fument en synchronisation parfaite, se moquent eux-mêmes du fait qu’ils regardent tout le temps leur texte (délirante scène dans le train) ou sont, comme Sophie Langevin, absolument émouvants en disant le dilemme de la femme coincée entre deux hommes et la peur de l’inertie du quotidien, comme ça, calmement, assise sur une chaise en contre-jour.

Microdrames de Ian de Toffoli, mise en espace par Anne Simon, lumière de Zeljko Sestak ; avec : Sophie Langevin, Raoul Schlechter et Luc Schiltz ; musique : Sid Mysore et Jamie Reinert ; une production du Théâtre national du Luxembourg ; pas de deuxième représentation prévue. La prochaine pièce de l’auteur en résidence au TNL, L’homme qui ne retrouvait plus son pays, sera créée le 29 juin 2012 ; www.tnl.lu.
josée hansen
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