Lucien assume que Léonie est l’actrice légère devant laquelle il peut enlever sa ribambelle de caleçons. Léonie est à son tour convaincue que l’arrivée de Lucien est synonyme du début de ses cours de piano avec son nouveau maître, à qui elle n’a pas peur de montrer, quoique inconsciemment, de quoi est faite la texture de sa culotte. Grâce à l’avalanche des quiproquos qui entourent ces deux êtres aux sexes opposés, en perpétuelle tentative de rapprochement se soldant neuf fois sur dix par un échec cuisant de la communication, Lucien et Léonie finissent tout de même par devenir Monsieur et Madame Toudoux, et entreront à grands pas dans les incompatibilités relationnelles réservées aux stades plus avancés d’un essai d’une vie heureuse à deux.
Que ceci n’était pas prévu par l’auteur de ces créatures, à savoir Georges Feydeau, le roi du vaudeville, et donc du comique de situation, de répétition et de caractère, les metteurs en scène Myriam Müller et Jules Werner s’en moquent, comme l’autre l’aurait fait. Feydeau, qui somnole tranquillement dans le cimetière de Montmartre, ne s’est pas retourné dans sa tombe lors de la représentation de La longue et heureuse vie de Monsieur et Madame Toudoux, une adaptation libre de quatre de ses pièces, représentatives, selon le couple de metteurs en scène, chacune d’un stade d’une relation amoureuse (le printemps pour Amour et piano, l’été pour On va faire la cocotte, l’automne pour Léonie est en avance et l’hiver pour On purge bébé.
La volonté fût claire : ne pas se reposer uniquement sur les ressorts comiques du texte de Feydeau mais faire ressortir par ce montage de textes l’ambition de fond de l’auteur, en tirant l’ensemble vers le genre de la comédie de mœurs, jugé infiniment plus élevée que le vaudeville, de par ses aspirations à dévoiler la complexité des sentiments amoureux, et à dénoncer l’étroitesse d’esprit d’une classe sociale en particulier, à savoir la bourgeoisie.
Si l’idée du montage est louable, le passage de Léonie est en avance et de On purge bébé auraient gagnés à être plus resserrés. Sans réécrire des parties du texte de Feydeau, la progression dramatique ne saurait réussir à merveille dans une telle expérimentation d’assemblage. Plutôt que de l’envisager sous forme d’une pièce à part entière, le spectateur est confronté à des chapitres qui prennent la forme d’une chronique.
La cadence avec laquelle les couplets sont mitraillés par les acteurs si ces derniers ne sont pas en train de chantonner entre les dialogues, rend de nouveau justice au genre du vaudeville. Ainsi, un mélange éclectique entre vaudeville et comédie de mœurs s’installe, dans lequel tout un chacun peut se reconnaître. Par le rire, provoqué par des situations absurdes (Lucien met en pot de chambre sur sa tête pour amadouer les caprices de sa femme enceinte), le reflet que le spectateur contemple dans le miroir scénique devient acceptable. Les clivages innombrables auxquels est exposé le couple Toudoux sont toujours les mêmes, et par conséquent, l’adaptation de Feydeau prend son sens aujourd’hui.
En revanche, pas tous les aspects du texte de Feydeau sont exempts de rides. Si le passage de la sage femme dans Léonie est en avance met en avant l’abus du pouvoir découlant de l’exercice d’une profession, ce qui est bel et bien un élément universel, son rôle à l’époque nécessite une part de transposition chez les couples contemporains, qui ne reçoivent plus une sage femme chez eux pour donner vie à leur progéniture. Quant au couple formé par les acteurs Valéry Plancke et Isabelle Sueur, leur énergie constante et leur justesse d’élocution ne sauraient être remis en question. Olivier Foubert qui incarne à tour de rôle le père bourgeois détestable et l’enfant haïssable convainc par son talent de caméléon alors que Denis Jousselin, avec sa physionomie atypique se mue parfaitement dans le rôle de Monsieur Chouilloux. Enfin, la moustache de Lucien Toudoux qui pointe vers le haut, comme clin d’œil à celle de Feydeau, traduit la fidélité à son esprit et à son héritage.