Les chefs d’États et de gouvernement, réunis le 11 décembre en leur premier sommet sous le régime du Traité de Lisbonne, ont adopté le nouveau programme de Stockholm en matière de justice, liberté et sécurité. Ce nouveau programme de travail pour la période 2010-2014 « aura un impact direct sur des millions de citoyens », a déclaré le président de la Commission José Manuel Barroso. S’il rappelle la nécessité « de prévenir et de contrôler l’immigration illégale », le texte met l’accent sur la garantie d’un équilibre entre le respect des droits fondamentaux et une Europe sécurisée. Il vise à assurer une liberté plus grande pour les citoyens européens dans un environnement plus sûr, rappelant que le respect de la personne humaine et des autres droits consacrés par la Charte des droits fondamentaux, devenue contraignante avec l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, sont des valeurs essentielles.
Car c’est bien là que se situe la différence entre ce programme et ceux de Tampere (1999-2004) et de La Haye (2004-2009), davantage axés sur le développement de la sécurité. La nouvelle feuille de route qui servira de base aux initiatives – législatives ou non – que prendra l’UE dans les cinq années à venir se décline en six grands chapitres.
Promouvoir la citoyenneté et les droits fondamentaux « La citoyenneté européenne doit devenir une réalité tangible », affirment les 27, grâce au statut contraignant de la Charte européenne des droits fondamentaux, malgré les exceptions du Royaume-Uni, de la Pologne et de la République tchèque qui ont choisi d’y déroger. Cela vise à préserver l’exercice des libertés et de la vie privée des citoyens, via notamment la protection des données à caractère personnel. La Commission doit présenter une recommandation pour la négociation d’un accord avec les États-Unis et proposer une certification européenne pour les technologies, produits et les services « respectueux de la vie privée ». Elle est aussi chargée de soumettre en priorité une proposition destinée à faire accéder l’UE à la Convention européenne des droits de l’Homme.
Europe du droit et de la justice Le programme de Stockholm prô-ne l’approfondissement de l’espace européen de justice, jusqu’à présent en panne du fait de la règle de l’unanimité au Conseil, mais aussi de la défiance mutuelle des États membres. Avec le Traité de Lisbonne, de nombreux dossiers sont désormais soumis à la règle de la majorité qualifiée et de la codécision avec le Parlement européen (exception faite du droit de la famille, des passeports et cartes d’identité, et de la coopération policière opérationnelle où l’unanimité demeure). Il convient de mettre en place des mécanismes à même de faciliter l’accès à la justice aux citoyens et de renforcer la coopération entre les professionnels de la justice. Le programme insiste sur la nécessité d’accroître et de systématiser la formation européenne pour les professions judiciaires déjà engagées dans la coopération européenne. Dans les affaires civiles et commerciales, il fixe comme priorité la suppression de toute procédure intermédiaire à la reconnaissance des décisions juridiques entre États (l’exequatur) afin d’en faciliter l’exécution. En outre, le programme préconise de mettre en œuvre des mesures garantissant l’accès à la justice, notamment d’améliorer l’aide juridictionnelle et de faciliter les méthodes extrajudiciaires de règlement des litiges. Le développement du portail européen de la justice, e-justice, constituera la principale source d’information des citoyens sur leurs droits et sur les différents systèmes judiciaires des États membres. Le programme de Stockholm vise aussi à dépasser les problèmes des conflits de lois entre pays membres, y compris dans le domaine délicat du divorce et des séparations. Et sur ce point, il y a beaucoup à faire pour faciliter les procédures de divorces transfrontaliers ou binationaux, en les harmonisant à l’échelle européenne. La prochaine présidence espagnole a décidé de reprendre en main ce dossier. En matière de lutte contre les infractions transfrontalières au code de la route, il appartient à la Commission de préparer des initiatives pour favoriser la reconnaissance mutuelle des infractions routières dans l’Union et de l’assistance mutuelle dans l’application des sanctions.
Une Europe qui protège Les dirigeants européens défendent « le développement d’une stratégie de sécurité intérieure pour protéger la vie et la sécurité des citoyens européens, et lutter contre la criminalité organisée, le terrorisme et d’autres menaces ». Il est aussi question de mettre en place un système d’enregistrement des lieux, dates d’entrée et de sortie des ressortissants de pays tiers admis pour un court séjour, fonctionnant à partir de la plate-forme du système d’information sur les visas (VIS) et du SIS II (système d’information de Schengen de deuxième génération), qui devrait être opérationnelle à la fin 2010. Le développement de la coopération policière et d’Europol sont aussi des priorités ainsi que la création de mécanismes d’échanges d’informations entre les agences de l’UE (Europol, Eurojust, Frontex). La Commission doit aussi analyser la possibilité de créer un système européen de surveillance du financement du terrorisme.
Accès à l’UE « Il convient de faciliter l’accès à l’Europe pour les hommes d’affaires, les touristes, les étudiants, les chercheurs, les travailleurs, les personnes ayant besoin d’une protection internationale », indique le texte. Cela signifie la poursuivte de la politique européenne des visas et de gestion des frontières avec l’instauration d’un système d’enregistrement de voyageurs qui auront passé avec succès un examen préalable. Début 2010, la Commission proposera d’élargir le mandat et le rôle de Frontex, l’agence européenne chargée de la coopération des États membres en matière de sécurité aux frontières.
Responsabilité, solidarité et partenariat en matière d’immigration et d’asile L’objectif visant à établir, d’ici à 2012, un système commun d’asile est réaffirmé et les personnes susceptibles d’être concernées doivent pouvoir accéder en toute sécurité et efficacement aux procédures d’asile. Une « solidarité effective », mais « volontaire », doit être exercée envers les États qui subissent des pressions particulières. L’Allemagne, l’Autriche ou le Royaume-Uni, qui craignent un « appel d’air » à l’immigration illégale, ont fait supprimer la possibilité de créer un mécanisme pour la reconnaissance mutuelle des décisions accordant la protection internationale. Le Conseil estime que le pacte européen sur l’asile et l’immigration fournit les bases pour les futurs développements. « Il y a pourtant un besoin de rapprocher des politiques aujourd’hui très disparates », indiquait récemment le commissaire Jacques Barrot, chargé du dossier. Le texte souligne la nécessité d’empêcher et de prévenir l’immigration illégale et les pays sont invités à accroître leur coopération pratique en vue de l’expulsion de clandestins, grâce à l’affrètement de « vols charters réguliers communs ».
Rôle de l’UE à l’international La dimension extérieure de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, indispensable pour la réalisation de ce programme, doit être prise en compte dans tous les autres aspects de la politique étrangère de l’UE.
Les associations humanitaires ont souligné les lacunes du programme relatives à l’immigration irrégulière : « Une politique migratoire qui ne se préoccupe que de renvoyer les gens chez eux et qui ne prend pas les droits des migrants au sérieux ne peut pas fonctionner, elle risque d’entamer davantage la crédibilité de l’UE », a déclaré Natalia Alonso, du Bureau européen d’Amnesty International, qui déplore que « la question de l’exploitation des migrants en situation irrégulière et du non-respect de leurs droits fondamentaux ne soit pas évoquée ».