Pacte sur l'immigration et l'asile

Banalisation

d'Lëtzebuerger Land du 03.07.2008

Clac. Clac. Clac ! On les entendrait presque, ces lourdes portes de la forteresse Europe qui se ferment à double tour au fil de l’intégration européenne. Car la libre-circulation garantie pour ceux du dedans a pour écho l’exclusion de ceux du dehors. Lundi à Cannes, la Présidence française de l’Union européenne présentera, lors d’un conseil informel Jus­tice et Affaires intérieures (Jai), entre autres ce qu’elle appelle son « pacte sur l’immigration et l’asile », dont elle a fait une de ses quatre priorités. Le texte devrait être adopté à l’automne par le Conseil européen et a déjà fait, en amont, l’objet de larges consultations. Que la France de Nicolas Sar­kozy, très à droite sur la question, fai­sant paraître l’immigration des pays tiers comme un des fléaux du moment et dont le ministre en charge du dossier de l’immigration et proche du Président de la République, Brice Hortefeux, a réussi à faire passer un amendement qui impose désormais des tests ADN aux immigrés demandeurs d’un regroupement familial, veuille dicter la ligne à suivre par l’Europe des 27 sur la question – forcément, ça fait peur. 

L’approche française très restrictive et l’esprit de suspicion contenus dans les premières ébauches du texte ont d’ail­leurs fait se braquer beaucoup de pays partenaires, comme l’Allemagne ou l’Es­pagne. Le credo de Paris d’une im­migration légale « choisie » très limitée, professionnelle et ciblée, devait in­clure un engagement de tous les pays membres de ne plus régulariser de fa­çon générale des générations de sans-papiers ou l’obligation d’introduire des « contrats d’accueil et d’intégration » dans tou­tes les législations nationales sur l’immigration sont deux des points les plus contestés. Le minis­tre luxembourgeois délégué à l’Immi­gration, Nicolas Schmit (LSAP) regret­te dans ce contexte qu’on ne discute plus, en Europe, de l’immigration que sous l’angle de l’illégalité, alors que le continent a besoin de ces nouveaux travailleurs, ne serait-ce que pour garder les taux de croissances actuels.

En fait, l’immigration semble être un de ces dossiers où les débats politiques sont à mille lieues aussi bien de la vie quotidienne des Européens que des besoins de l’économie. En se déplaçant de plus en plus vers la droite, beaucoup de gouvernements ont phagocyté l’extrême-droite et son discours xénophobe. Le Luxem­bourg n’y fait d’ailleurs pas exception : nombre des mesures prévues – et contestées – dans ce « pacte » français ont déjà été introduites en pratique ou le seront dans le cadre des réformes en cours. Ainsi, le gouvernement Juncker/Asselborn a décidé de ne plus faire de régularisation générale ; le ministère des Affaires étrangères veut accélérer les retours forcés et négocie des accords de ré­admission avec les pays d’origine. Les « contrats d’accueil et d’intégration » sont même expressément prévus dans le projet de loi sur l’intégration et celui sur l’immigration confère un large pouvoir d’appréciation sur les sorts individuels au seul ministre au lieu d’accorder des droits opposables. Ici aussi, on construit un centre de rétention, on rend l’accès à la nationalité luxembourgeoise plus difficile, et la moitié des députés européens luxembourgeois (Jean Spautz, Astrid Lulling, Lydie Polfer) ont voté pour la « directive de la honte » le mois dernier, permettant l’enfermement de gens innocents jusqu’à 18 mois, y compris de mineurs...

En fait, ce qui s’est banalisé, ces dernières années dans le discours et l’action politique, c’est la généralisation de la suspicion, proche de la xénophobie. Car même si tout le monde affirme ne pas être hostile à l’Autre, qu’on célèbre une hypothétique multiculturalité par des fêtes folkloriques et la création d’agences bidons, le soir, on préfère quand même fermer la porte à double tour. On ne sait jamais.

josée hansen
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