Juché sur les hauteurs de Metz, le Fonds Régional d’Art Contemporain (Frac) de Lorraine accueille Réapparitions, la première exposition monographique consacrée à Michael Rakowitz en France. Né en 1973 dans l’État de New York, l’artiste américain est issu d’une famille juive de Bagdad qui fut contrainte de s’exiler en 1946, cinq années après le massacre du Farhoud perpétré contre les juifs du royaume irakien. Une fois arrivé aux États-Unis, le grand-père de l’artiste s’installe à New York où il fonde une entreprise d’import-export. Bien plus tard, en 2004, Michael Rakowitz décide de reprendre le business familial, puis ouvre, deux ans plus tard, une vitrine éphémère dans le quartier arabe de Brooklyn afin de promouvoir la production de la datte, dont l’Irak fut le premier exportateur au monde avant que le nombre de ses palmiers se réduise considérablement avec les guerres contre l’Iran puis les États-Unis. Un rêve anime alors Michael Rakowitz : celui d’importer cette production typique de son pays d’origine et de faire découvrir ce savoureux fruit aux habitants du coin. Il conçoit même l’emballage, orné de quelques images emblématiques de l’histoire du pays, comme la Porte dédiée à la déesse Ishtar, ou encore le Lion de Babylone, véritable symbole national. Après une première tentative infructueuse en raison de la régulation des sorties de marchandises aux frontières, une seconde parvient à son terme... Les dattes finissent par arriver à la boutique de Michael Rakowitz, où les clients se précipitent pour les déguster. Cette entreprise commerciale un peu folle et assurément solidaire, nous la connaissons grâce à ce petit film particulièrement émouvant que constitue Return (2004) qui permet de situer l’œuvre de Rakowitz dans son contexte familial. Le film commence d’ailleurs par ce proverbe : « Une maison avec un dattier ne meurt jamais de faim ». C’est ce choix fort que fait justement l’artiste à partir de la nourriture pour fédérer et réconcilier, plutôt que le pétrole auquel est trop souvent réduit l’Irak.
Dans une salle à côté, ce sont des dizaines de pièces méthodologiquement inventoriées et mises côte à côte qui sont présentées sous vitre. Enveloppées pour la plupart dans du journal, il s’agit de reproductions d’originaux, reconstituées dans l’atelier de Michael Rakowitz à Chicago à partir des données scientifiques recueillies par l’université de Bagdad. D’où le titre donné à l’exposition, Réapparitions, qui résume en même temps tout l’enjeu politique sous-tendant le geste de l’artiste-archiviste : celui de réunir les conditions pour rendre présentes des pièces qui ont été détruites, dérobées ou revendues, lors des pillages survenus en 2003 au Musée national de Bagdad lors de l’occupation américaine du pays. Il fera de même pour les éléments détruits en 2015 sur les sites de Ninive et de Nimrud par Daesch. L’entreprise est donc gigantesque, infinie, à la mesure des destructions survenues en Irak ces dernières années. Chacune de ces pièces précieuses est accompagnée d’une citation d’un expert scientifique ou d’une institution sensibilisant le visiteur à la perte incommensurable essuyée par la population iraquienne. Ainsi de cet énoncé de 1976 issu d’une déclaration de mission publiée dans un catalogue du Musée national de Bagdad : « Les reliques du passé servent de rappels de ce qui a été, et de maillons dans la chaîne de communication qui relie le passé, le présent et le futur. Une société qui possède des musées nombreux et de qualité a une mémoire historique plus forte qu’une société qui est en dénuée. » Autre échantillon, parmi bien d’autres, de l’historienne de l’art Fiorella Ippolitoni Strika : « Les Guerres du Golfe ont eu pour seule retombée positive le renouvellement d’un intérêt international pour la culture mésopotamienne ». Parmi ces montages de citations, quelques-unes dénotent par leur ignorance mêlée de cynisme. Comme celle de Donald Rumsfeld, lorsque celui-ci officiait comme secrétaire à la Défense entre 2001 et 2006 sous le gouvernement Bush : « Et je ne pense pas que quiconque sur aucune de ces images, ou n’importe quel être humain qui n’est pas libre, ne préférerait pas la liberté, et il vous faut reconnaître que passer par une période de transition comme celle-ci et l’accepter fait partie du prix à payer pour passer d’un régime oppressif à la liberté. » Rappelons, au passage, que Rumsfeld fut l’un des chantres du programme de torture appliqué en Irak.
Bien des choses sont à admirer dans les pièces suivantes, à commencer par ces magnifiques panneaux monumentaux qui ornaient autrefois les murs du palais construit par le roi assyrien Assurnasirpal II (883-859 av. J-C) à Nimroud. Là encore, puisque ce site a été depuis détruit par Daesch, il s’agit de reconstitutions, documentées par des citations et des informations liées à leur contexte de fabrication et de destruction. Dans cette même salle, deux lettres de l’artiste sont présentées pour faire état du processus de justice réparatrice qu’il a initié, notamment pour faire reconnaître la propriété diasporique d’une de ses œuvres, et assumer le fait qu’elle ne soit jamais totalement chez elle à un endroit seul.
Enfin, une seconde vidéo courte et amusante réalisée en stop-motion, intitulée The Ballad of Special Ops Cody (2017), permet de pénétrer dans l’enceinte de l’Oriental Institut de l’université de Chicago par l’entremise d’une figurine de GI noir. Ce dernier, également dépossédé de son héritage et de son histoire par l’esclavagisme, finit par rejoindre la vitrine où demeurent des statues votives mésopotamiennes, elles aussi emportées lors de hauts-faits coloniaux menés par des Occidentaux. Joignant la mémoire familiale à l’héritage dévasté d’un pays, c’est l’histoire même de la constitution des musées, ces hauts-lieux culturels fondés sur la guerre et ses spoliations, qu’interpelle avec délicatesse Michael Rakowitz.