L’exposition Toi et moi, on ne vit pas sur la même planète invite l’urgence écologique au musée. À l’origine, en 2020, le sociologue et philosophe des sciences Bruno Latour était invité avec le commissaire d’exposition Martin Guinard à imaginer la Biennale de Taipei sur l’île de Taiwan. L’exposition avait été présentée de novembre 2020 à mars 2021 au Musée des Beaux-Arts de Taipei. Elle réunit 57 artistes, collectifs et intervenants qui interrogent les conflits liés à la question écologique. Le Centre Pompidou-Metz invite la Biennale de Taipei 2020 et ses commissaires à investir ses espaces afin de mettre à l’honneur la scène taïwanaise et les propositions des artistes formulées pour cette biennale.
Globalisation Bruno Latour et Martin Guinard prospectent les futures colères. Une économie échevelée vendange le mépris et les inégalités. Dans un contexte de montée des populismes, les deux commissaires imaginent un planétarium fictif. Il y a là la « Planète Globalisation » : « ceux qui veulent continuer à se moderniser à tout prix, sans tenir compte des limites planétaires », avancent-ils. Le rêve de modernisation au moyen du progrès régresse. « Quel était le moteur de la globalisation ? Et, surtout, qu’est-ce qui pourrait lui succéder ? » se demandent-ils. C’est ainsi que la large toile de Huang Hai-Hsin, River of Little Happiness (2015) peut s’interpréter. Cette huile sur toile présente bien le désastre qui nous guette à ne pas penser le problème écologique : un fleuve serpente au centre du tableau d’où s’échappent voitures enserrées et la catastrophe qui vient tandis qu’au loin, les fumées d’usine crachent leur boue grise. Quand certains longeant le fleuve se rendent compte de l’imminence du danger, d’autres continuent de satisfaire leurs besoins égotistes. Arrimés à leurs transats ou sur leurs fauteuils, certaines femmes continuent ainsi de se faire manucurer les pieds. Tout est dit dans ce tableau de l’échelle des catastrophes et du sentiment de ne pas se sentir directement impliqué dans la catastrophe écologique qui vient. Pour autant le péril nous concerne tous car il est susceptible de jeter à bas notre sentiment de sécurité, rappellent Latour et Guinard.
Sécurité Il s’agit de l’autre planète dont parle cette exposition : la « Planète Sécurité ». Le risque de la catastrophe qui vient est bien ce repli pensé à l’échelle de l’humanité. « Vers où vont tous ceux qui se sentent trahis ou perdus par l’idéal promu par la planète Globalisation ? La tendance est de demander un bout de terre, de se réfugier derrière des frontières, dans un havre de paix où l’on puisse vivre protégé des autres ». Est-ce seulement possible ? Des extraits vidéo de In the Face of Evil (2014), Generation Zero (2010), Fire from the Heartland (2010), Battle for America (2010), Occupy Unmasked (2012), District of Corruption (2012) sont regroupés au sein du projet Collapsing Buildings où la lueur apocalyptique qui surgit matérialise l’échelle des catastrophes. Le repli est mortifère. Penser être protégé et en sécurité alors que tout brûle autour de soi se révèle vain. Une autre installation qui regroupe les mêmes extraits vidéo a pour titre Progressive Movements et évoque le discours de Bannon selon lequel « l’arrivée de la ‘quatrième saison’ est le résultat des agissements de la génération d’après-guerre. Sa conviction est que l’émergence des mouvements hippie, progressiste et féministe a enclenché un processus de déclin politique, économique et culturel ». On regrette que l’exposition mette ainsi en avant un discours, celui de Bannon, qui n’a de crédit que celui qu’on veut bien lui accorder. Un ersatz d’air du temps, sans doute.
Les superbes assemblages d’Aluaiy Kaumakan, Vines in the Mountains (2020), composées de laine, ramie, coton, cuivre, soie, perles de verre et à l’occasion de la Biennale de Taipei déjouent, fort heureusement, par leur force chromatique et la figuration d’un espoir, certains discours plus attendus.