Le jazz avait son NHOP, la peinture, désormais, a son MOTG. Marie-Odile Turk-Gaillot, en passant par sa Lorraine, creuse son chemin de la montagne à la Bretagne, tout en plantant son chevalet... dans son atelier. Car c’est à l’intérieur qu’elle pose sa frêle silhouette pour peindre des extérieurs, des paysages qui ne sont pas des pays sages, mais des natures, non pas mortes, mais fortes, fortes d’une expression qui fait écho à celle des expressionnistes allemands. Cette peinture, en effet, jette un pont vers les artistes de la « Brücke » et du « blaue Reiter », qui œuvraient à une époque gravide de la Grande Boucherie. Est-ce un hasard alors si certaines toiles crient littéralement le bleu et le jaune, ces couleurs primaires qui, aujourd’hui, sont celles d’un pays meurtri ? La plupart des œuvres exposées datant d’il y a un ou deux ans, disons que c’est pour le moins prémonitoire. Il y a de la violence dans ces tableaux, comme ce gros pavé rouge sur une plage qu’on devine de mais 68 et que vous vous attendez à recevoir en pleine poire. Oui, l’art de MOTG n’est pas de l’art brut, mais de l’art brutal, brut de décoffrage, dont les couleurs sont primaires sans être criardes et dont les formes font référence au monde minéral.
Des cimes enneigées et glacées aux cimaises des galeries, c’est un hymne aux quatre éléments, omniprésents dans ses toiles. Ces éléments correspondent, on le sait depuis Hippocrate et Aristote, aux quatre tempéraments. La terre, l’eau et l’air sont au bout de sa palette qu’on entend dialoguer avec Bachelard qui, bien plus poète que philosophe, ne savait comme nul autre rêver au bord de l’eau lymphatique, songer en prenant l’air sanguin, psychanalyser le feu colérique et traquer la volonté de la terre mélancolique. « Le pays natal est moins une étendue qu’une matière », écrit-il, et notre peintre lui répond à travers ses toiles ubi bene, ibi patria. Car elle est chez elle à Metz comme à Merl, en Bretagne surtout et aussi dans les Alpes et ses toiles sont, l’anecdote et le pittoresque en moins, autant de cartes postales des paysages qui sont devenus, nous l’avons dit, des intérieurs, son intérieur. Et elle brouille les pistes : la terre de la montagne devient l’eau du glacier, l’écume de la mer (r)appelle la neige des sommets alpins et les nuages du ciel sont autant de moutons qui se prennent pour des vagues. Et si le pinceau rechigne aujourd’hui à représenter le végétal et l’animal, voire l’humain, ces frontières finissent par se dissoudre dans l’huile de la peinture. Et nous nous surprenons à traquer l’âme dans l’inanimé, apercevant là un félin qui surgit, tel le léviathan, des flots, ici une silhouette qui traîne son spleen, les bras raclant la terre.
La Gaillot, comme on dit la Callas ou la Kahlo, a fait du chemin depuis ses premières expositions qui célébraient les arbres et les nus : les baigneuses d’Avignon, par le truchement de notre Gorgone, se sont métamorphosées en rochers qui sont autant de têtes de nageurs qui tracent leurs longueurs dans les couloirs de Pont-Aven et de Crozon. À moins que nous ne soyons victimes, comme l’enfant du Roi des Aulnes, d’une hallucination qui fait de nous la proie de l’ombre. Mais n’est-ce pas le propre de l’art de plonger le spectateur dans l’inquiétante étrangeté d’un monde qui dérange et se dérobe ? Mais l’art de MOTG jamais ne désole ; il console, comme le prônait Schopenhauer, dans la joie de l’explosion des couleurs primaires qui font retour à la primitivité de l’origyne du monde, c’est-à-dire l’eau de la mer. Qui ne demande qu’à s’unir au feu, ce quatrième élément que nous allons (peut-être) retrouver lors d’une prochaine exposition de l’artiste.