Parfois, ce sont les réflexes individuels les plus veules qui mènent vers des avancées législatives considérables. C’est l’histoire d’un chercheur du Laboratoire national de la Santé, de nationalité allemande, qui voulut faire carrière au sein du service et accéder au poste de médecin chef de division. Il obtint le poste. Or voilà, un concurrent au même poste, Luxembourgeois, a remis la nomination en question, estimant que ce poste d’officier de la police judiciaire devait, selon la législation luxembourgeoise, être réservé aux nationaux, comme il participait à « l’exercice de la puissance publique ». Les juridictions administra-tives luxembourgeoises donnèrent raison au Luxembourgeois, l’Allemand déposa une plainte devant la Commission européenne et provoqua un avis motivé de cette dernière, estimant que le grand-duché avait enfreint l’article 39.4 du traité instituant la Communauté européenne sur la libre-circulation des travailleurs. Enre-temps, notre homme avait acquis la nationalité luxembourgeoise, sa nomination au poste en question a été confirmée – mais la procédure devant les instances européenne reste pendante.
La recherche fait partie des six domaines définis par la loi du 17 mai 1999 sur le statut général des fonctionnaires de l’État comme étant ouverts aux ressortissants de l’Union européenne1. Cette réforme-là avait déjà été réalisée suite à une procédure européenne, dans une lutte acharnée avec la CGFP, le syndicat de la Fonction publique, défenseur de la protection du secteur aux seuls nationaux. Dix ans après la nouvelle loi, il y a toujours moins de dix pour cent de non-Luxembourgeois dans la Fonction publique. Cette fois-ci, le combat ne fut pas plus facile : il a fallu des mois de négociations avec le syndicat à l’ancien ministre de la Fonction publique Claude Wiseler (CSV), se soldant par une procédure de non-conciliation et l’intervention du Premier ministre Jean-Claude Juncker (CSV), avant que la CGFP ne signe un accord de principe, en mars 2009, définissant les secteurs qui s’ouvriront davantage aux non-Luxembourgeois2, accord qu’elle vante comme étant « extrêmement équilibré ».
À Bruxelles, le chrono continue de tourner, le Luxembourg a demandé que la procédure d’infraction à son égard soit clôturée, mais la Commission ne veut le faire qu’après le vote de la réforme. Le projet de loi a d’ailleurs déjà été transmis à Bruxelles, pour information, en mars, avant même la signature de l’accord avec la CGFP. Claude Wiseler déposa le texte le 22 avril à la Chambre des députés ; à son arrivée dans le ressort, sa successeure Octavie Modert (CSV) écrit aux instances législatives pour leur rappeler « l’extrême urgence » du dossier. C’était fin septembre. Depuis, les députés et les conseillers d’État y vont au galop : analyse, avis, amendements, deuxième avis complémentaire, rapport adopté lundi – et voilà que deux mois plus tard, le texte pourrait être adopté en séance plénière mercredi prochain. En ce bref laps de temps, aucune Chambre professionnelle n’a émis d’avis, pas même celle des fonctionnaires ; plusieurs organisations syndicales et de défense des droits des étrangers ont par contre envoyé un avis spontané.
La petite révolution de cette réforme est que l’ouverture de la fonction publique aux non-Luxembourgeois sera désormais la norme, les domaines réservés des exceptions. Ainsi, l’article 2.1 sur les conditions de recrutement ne dit plus qu’il faut être de nationalité luxembourgeoise, mais « être ressortissant d’un État membre de l’Union européenne », à l’exception des emplois qui comportent « une participation, directe ou indirecte, à l’exercice de la puissance publique ». Ceux-là seront donc itérativement énoncés dans un règlement grand-ducal.
Le vote du projet de loi 6031 a gagné encore en urgence suite à l’opposition formelle du Conseil d’État à l’article 25 du projet de budget d’État pour 2010, article qui fixe le recrutement annuel d’employés de nationalité étrangère auprès des administrations de l’État, les conseillers jugeant cette procédure en catimini contraire au droit européen et à cette réforme du droit luxembourgeois. Afin de pouvoir rapidement donner suite à la Commission européenne et éviter en un vide juridique aux personnes concernées, le législateur a donc accepté d’introduire ces employés au projet de réforme – ce qui implique que la loi doit impérativement entrer en vigueur pour le 1er janvier 2010.
La commission de la Fonction pub-lique et de la Réforme administrative a suivi le Conseil d’État dans quasiment toutes ses propositions et demande de changements du texte, dont les plus marquantes sont l’inclusion du secteur communal dans la réforme, non-prévu dans le projet initial, et l’annulation du recrutement supplémentaire d’agents pour l’Inap (Institut national de l’administration publique) prévu dans la première version. L’institut sera en charge de la gestion pratique des cours et examens des trois langues administratives, qui deviendra une condition pour l’accès à la fonction publique, ainsi que d’un nouveau cours pour les jeunes stagiaires intitulé « Institutions et société ». Il avait pour cela fait inscrire cinq postes d’attachés de gouvernement et un poste de rédacteur dans la loi. Le Conseil d’État y réagit avec virulence, estimant qu’il « ne saura admettre un tel gaspillage de deniers publics, surtout par les temps qui courent ».