Les peines sont lourdes. 48 mois de prison avec sursis partiel et une amende de 6 000 euros pour le chef de circulation ; 46 mois de prison ferme et 5 000 euros pour l’annonceur de trains. Les juges ont estimé que ce dernier ne méritait pas le sursis, surtout après son comportement intransigeant lors des audiences au tribunal, où il a tenté de faire porter le chapeau à ses collègues et à son employeur plutôt que de reconnaître ses propres erreurs et d’exprimer des regrets. Dans le verdict rendu le 29 janvier, les juges ont rappelé que le sursis était une mesure de clémence qui se méritait et « ne saurait être accordé de manière automatique pour la seule raison qu’un prévenu dispose d’un casier vierge ». L’aiguilleur a écopé pour sa part de douze mois de prison avec sursis intégral et de 5 000 euros d’amende. Enfin, le chef de circulation de l’équipe précédente a eu six mois de prison avec sursis et 5 000 euros. Il a d’ailleurs été le seul à avoir exprimé spontanément ses regrets à la barre.
Il a été le premier maillon de la chaîne défaillante du poste directeur de Bettembourg-centre, ayant mené à la catastrophe ferroviaire du 11 octobre 2006 qui a fait six morts et seize blessés (d’Land, du 5 décembre 2008). Car ce matin-là, il n’a pas attendu la relève et s’est contenté de transmettre l’information cruciale au collègue du chef de circulation qui était en retard. Il l’avait aussi inscrit sur un brouillon qu’il lui avait déposé sur le pupitre, mais le retardataire ne l’a pas lu avant d’envoyer le train de passagers sur les mêmes rails que le train de fret qui venait en contresens. Juste avant la collision, les deux trains avaient atteint presque 80 kilomètres/heure.
Cette façon d’assurer la relève était contraire aux consignes officielles, mais elle n’était pas inhabituelle. Une pratique qui était d’usage depuis des années sans que personne ne s’y oppose. Tout comme la manière de travailler en équipe où chacun prenait des décisions et les exécutait sans passer par la voie hiérarchique comme le prévoit pourtant le règlement. L’annonceur des trains avait signalé la venue du train de passagers à la gare de Thionville sans en avoir reçu l’ordre du chef de circulation. Or, cette consigne n’est jamais mise en exécution, car son application causerait trop de retards, s’étaient défendus les prévenus dans le prétoire. La question se pose de savoir pourquoi les CFL émettent des consignes sans vérifier si elles sont respectées ou éventuellement inapplicables. Car, dans ce cas-là, une voie était fermée à cause d’un chantier, ce qui rendait tout laisser-aller plus dangereux encore. Mais la compagnie des chemins de fers n’a pas été mise en cause, car le système de sécurité a bel et bien fonctionné. « Cependant, même le meilleur système de sécurité imaginable ne peut fonctionner en cas d’erreur humaine, » notent les juges.
L’information que la voie était déjà occupée par un train arrivant de France n’est donc jamais parvenue jusqu’au chef de circulation. Or, il n’a pas cru bon de vérifier tous les clignotants qui s’étaient pourtant allumés. D’abord, lorsqu’il voulait faire passer le train des passagers vers la France, mais son co-équipier n’arrivait pas à faire passer le signal du rouge au vert. Au lieu d’en vérifier la cause – évidente –, il en conclut à un incident technique et donna l’ordre écrit au conducteur du train de passagers de continuer sa route en l’envoyant droit vers la mort – tandis que l’annonceur de trains commandait des lasagnes tout en étant persuadé que le train venant de France était déjà arrivé à destination et avait libéré la voie.Le pire, c’est que la catastrophe aurait pu être évitée si les trois (le quatrième co-équipier n’était d’ailleurs toujours pas arrivé) avaient réagi de façon professionnelle dès qu’ils se sont rendus compte de leur énorme bévue. Le bouton de l’alarme n’avait pas été activé convenablement et la tension sur la voie n’a été coupée que lorsqu’il était trop tard. De précieuses minutes et secondes se sont écoulées en essayant de téléphoner de droite à gauche, sans véritable concept.
L’appréciation des juges est sans appel : « Il est inadmissible que des agents affectés à la sécurité ferroviaire, affichent une telle ignorance des dispositifs de sécurité qu’ils sont appelés à gérer et des règlements qui commandent leur utilisation, écrivent-ils. Leur absence alléguée de connaissance n’a d’équivalent que leur absence de réaction lors de la réalisation du danger. » À part le non-respect des procédures et la méconnaissance des mécanismes et mesures de sécurité, les juges reprochent aux quatre employés des CFL « un manque total de collaboration entre les agents qui étaient censés travailler en équipe ; ils venaient et partaient comme bon leur semblait ; ne se préoccupaient pas de ce que faisait leur collègue ou s’en désintéressaient totalement. » Vu sous cet angle-là, l’appel syndical, après le verdict, aux cheminots des CFL de ne se limiter qu’au strict règlement de service sonne creux. La motivation en a pris un coup.