Les élèves s’étaient déjà habitués aux passages de la police avec leurs chiens renifleurs dans les locaux du Lycée technique agricole d’Ettelbruck. Mais la direction en a rajouté une couche et a récemment soumis deux classes à des tests d’urine pour dépister toute consommation de cannabis. Exaspéré, un élève de l’établissement a envoyé la semaine dernière une missive aux médias pour dénoncer ces tests de drogue, qualifiés d’abusifs et humiliants.
« La sécurité passe avant ces considérations personnelles », maintient la direction qui a entrepris ces démarches après avoir été prévenue par des élèves que des camarades de classe maniaient des outils dangereux pendant les travaux pratiques, alors qu’ils se trouvaient dans un état second. Ce qui montre d’ailleurs le peu d’efficacité des incursions policières avec des chiens dans les locaux du lycée.
Aux critiques qui lui reprochent que les tests inopinés étaient complètement disproportionnés, la directrice Martine Hansen répond qu’elle préfère ces remontrances plutôt que de se faire accuser de ne rien avoir entrepris pour protéger les autres élèves et les professeurs du danger.
Cependant, ce dépistage ne montre pas l’état de conscience de la personne testée positive – le flagrant délit en quelque sorte – il donne juste l’information qu’elle a consommé du cannabis au cours des dernières semaines. Cette manière de dépister n’est donc pas tout à fait scientifique.
Logiquement, si des élèves se sont plaints de la dangerosité de certains camarades, c’est qu’ils ont dû être identifiables. Pourquoi les responsables n’ont-ils pas choisi d’écarter ces jeunes-là sur le coup ? « Certains professeurs ont aussi annoncé qu’ils refusaient de continuer les travaux pratiques s’ils devaient travailler dans ces conditions-là, maintient la directrice, il faut savoir que certains élèves ne présentent pas les symptômes d’un drogué, même s’ils ont consommé. Et d’ailleurs, des études confirment que la consommation de cannabis, même occasionnelle, altérait certaines capacités. »
Pour la directrice, cette action coup de poing était donc le seul moyen efficace de remédier à la situation. Elle a choisi de ne pas en informer les parents au préalable, même pour les élèves mineurs : « Lorsqu’ils se trouvent au lycée, c’est moi qui ai l’autorité parentale. D’ailleurs, les parents étaient surpris, mais ils ont applaudi cette action. »
Le procureur de Diekirch avait donné son feu vert, sinon toute cette action aurait été illégale. Or, la recherche systématique sur toute une tranche de la population est loin d’être anodine, car il y a une différence entre suspicion générale et recherche sur base d’indices et de soupçons concrets sur des personnes identifiées. Il y a quelques années, dans une affaire similaire où le directeur d’un lycée avait demandé la permission de lancer une action de détection de stupéfiants dans son établissement, le Parquet avait d’ailleurs choisi de réagir différemment et ne pas lui donner son accord. À l’époque, le procureur avait estimé que ce genre de fishing operation était à éviter comme tout ce qui pouvait contrarier le bon déroulement de l’enseignement dans une école. Il avait aussi insisté sur le fait que si une intervention policière était nécessaire, elle devait se dérouler en tenue civile.
Au niveau des Parquets, les opinions divergent. Ils doivent maintenant se donner des procédures, imposer des critères pour mettre une barrière à toute dérive éventuelle et éviter la banalisation de cette façon d’enquêter en ratissant large. Car la consommation de drogues ne se limite pas au lycée agricole et d’autres directeurs d’écoles seront certainement tentés de suivre cet exemple. Les procédures d’intervention ne sont donc pas claires, un autre exemple est la fouille de sacs d’école par des policiers. Une telle action est-elle légale si elle est effectuée sans la présence des élèves concernés ? Avec la sécurité pour unique justification ?
La directrice du lycée agricole assure que cette action ne sera pas répétée systématiquement, qu’il s’agissait quand même d’une mesure extrême. Toutefois, rien ne l’empêche de recommencer cet exercice, car les résultats l’ont confirmée dans sa démarche. Quarante pour cent des tests se sont révélés positifs. Maintenant, les élèves qui n’ont pas encore eu d’antécédents auront un avertissement, une retenue ou devront se faire suivre par le service Solidarité jeunes de Médecins sans frontières. Il n’en reste pas moins qu’ils sont fichés par la police, car la consommation de cannabis est illégale. Comme dans tous ces cas-là, la justice est donc mise en branle et devra décider des poursuites éventuelles – une épée de Damoclès.
Et la déclaration du directeur adjoint Tom Delles, cité par le Journal le 26 novembre 2011, selon laquelle il fallait voir cette affaire sous un autre angle, que l’élève avait ici la possibilité de démontrer qu’il était clean, laisse pantois. Ce n’est ni plus ni moins que le renversement de la charge de la preuve, une attitude indigne pour un État de droit. L’éternel credo « c’est pour leur bien » ne peut pas être l’absolution pour se permettre une atteinte aux droits de ces personnes et à leur dignité.