Les sommes saisies dans les affaires de drogue doivent servir à combattre le fléau, c’est le principe de base qui détermine l’usage de la cagnotte du Fonds de lutte contre le trafic des stupéfiants. Elles servent, depuis la création du Fonds en 1992, à financer des projets qui touchent de près ou de loin au combat contre la drogue, comme l’explique le président du comité-directeur Jean Guill : « La priorité appartient aux projets dans les pays de provenance, qui sont à l’origine de l’argent de la drogue. C’est avant tout là où elle a été cultivée avant d’arriver dans nos régions. »
Au Luxembourg, elle sert à financer des projets de prévention – du matériel pour les campagnes contre la drogue –, de dépistage et de répression de la police grand-ducale comme l’acquisition de chiens anti-drogue, de matériel de récupération de drogues avalées, de matériel informatique et d’autres outils de lutte contre les stupéfiants et le trafic. « Mais il ne faut pas croire que le Fonds sert avant tout à financer la police, souligne Jean Guill, les parquets, les services de la douane et des organisations non gouvernementales privées travaillant dans le domaine de lutte contre la drogue bénéficient aussi de sommes importantes. »
Les plus gros montants réservés au grand-duché sont effectivement destinées à financer des projets tel que la création d’un atelier thérapeutique pour dépendants à Schoenfels, initiée par l’organisation Stëmm vun der Strooss, en préparation depuis 2003, et qui a reçu le feu vert par le Fonds en 2005. Le projet est en ce moment dans la phase d’élaboration des plans de construction par l’administration des Bâtiments publics et le ministère de la Santé. Il concerne un investissement de quelque 2,4 millions d’euros. Un autre projet important en suspens est la Fixerstuff. Le financement de plus de 1,6 million d’euros destiné à construire cette maison de traitement avec logements d’urgence pour toxicomanes avait été approuvé par le comité-directeur en 2002 déjà. Mais les éternelles querelles politiques concernant le site de la Fixerstuff ont fait retarder les travaux. Avec pour seul avantage peut-être de faire augmenter les intérêts sur les réserves bloquées pour la réalisation de ces projets.
Car les caisses du Fonds de lutte ne sont nourries que par les avoirs confisqués suite à des condamnations dans les affaires de drogue. Elles ont été renflouées en 2005 par une grosse affaire internationale ayant permis le recouvrement de 7,6 millions d’euros sur des comptes en banque luxembourgeois. Mais c’est l’affaire Jurado qui a rempli le bénitier et qui permet au Fonds de financer aujourd’hui encore la plupart de ses projets avec le recouvrement de presque 18 millions d’euros en 1997 par le grand-duché – après le partage avec la Colombie et les États-Unis. Le scandale Jurado, du nom d’un des financiers du cartel de Cali qui plaçait les avoirs des trafiquants dans les banques au Luxembourg, avait été à l’époque la première grande affaire de blanchiment en Europe.
La Fondation Jugend- an Drogenhëllef a pu réaliser le projet d’aide au logement et appartements supervisés pour toxicomanes « les niches ». Il permet d’avancer l’argent des premiers loyers et des garanties bancaires et de faciliter la réinsertion sociale des toxicomanes. Le CRP-Santé continue, lui, un projet de recherche et d’action sur la prévalence et la propagation des hépatites virales A, B et C et du HIV au sein des toxicomanes. C’est ainsi que de multiples autres projets du Centre de prévention des toxicomanies ont été financés, comme la formation des multiplicateurs, par exemple. Des conventions conclues avec les Parquets de Luxembourg et de Diekirch ont permis, depuis 1994, de débloquer de l’argent nécessaire aux actions de poursuite de trafiquants de drogue. Un autre projet d’envergure demeure depuis une dizaine d’années la prise en charge des personnes toxico-dépendantes en milieu pénitentiaire pour un montant prévu de 1,6 million d’euros. Depuis sa création en 1992, le Fonds de lutte contre le trafic des stupéfiants a donné son feu vert pour des projets d’un montant de plus de 26 millions d’euros, dont 19 millions d’euros ont été déboursés jusqu’ici.
Le Luxembourg compte parmi les major donors du programme des Nations unies ODC (Office contre les drogues et le crime) à Vienne, avec une participation aux budgets généraux et aux projets comme les centres de réhabilitation en Amérique centrale pour un montant de 1,4 million d’euros. D’autres ONG bénéficient de l’aide du Fonds, comme Eng Bréck mat Lateinamerika, qui a finalisé un projet de développement alternatif au Pérou pour 1,1 million d’euros. Ensuite, le ministère de la Coopération pioche aussi dans ce fonds pour financer des projets comme l’accueil et le traitement des toxicomanes au Cap-Vert pour 1,5 million d’euros.
« Ces priorités ont été définies par les Nations unies, souligne Jean Guill, mais le Luxembourg est pratiquement le seul pays à les appliquer. Cet argent saisi, issu de la drogue, doit servir à combattre les fléaux causés par la drogue. C’est pour cette raison qu’il est prioritairement débloqué pour réaliser des projets à l’étranger et non pour venir renflouer le budget national, comme le font pourtant d’autres pays. » Une tentation réelle.