Fixerstuff

Le provisoire qui dure

d'Lëtzebuerger Land vom 15.04.2010

La bonne volonté et l’engagement ne valent pas le professionnalisme. C’est sans doute la leçon que la Ville de Luxembourg devra tirer de la déculottée que lui a value l’annulation par le tribunal administratif de l’autorisation de construire une nouvelle Fixerstuff, rue d’Alsace. Les juges de première instance ont donné raison à l’entreprise Paul Wurth, qui tente par tous les moyens d’éviter la construction de cette nouvelle structure d’accueil pour toxicomanes à ses portes, considérant que le défilé des prostitués dans les alentours lui suffit. L’autorisation du bourgmestre Paul Helminger a été annulée parce qu’il s’agit d’un terrain à études qui ne se prête pas à une construction comme la nouvelle Fixerstuff. La commune aurait donc d’abord dû reclasser le terrain avant de donner son feu vert, car le tribunal n’a pas trouvé que la structure était assez légère et suffisamment amovible pour correspondre aux conditions d’un terrain à études. Or, c’est justement sur ce point-là que la commune et le gouvernement veulent continuer à batailler.

Le ministre de la Santé, Mars di Bartolomeo (LSAP), a annoncé mardi – non sans trémolo – qu’ils iraient en appel, même s’il faudrait pour cela adapter les plans architecturaux. Dans l’intervalle, il faudra rendre étanches les locaux de la route de Thionville, car les conditions de travail des 25 membres du personnel deviennent de pire en pire (d’Land du 29 janvier 2010).

« Nous nous retrouvons à la case départ, regrette Gilles Rod, le directeur de l’asbl Comité national de défense sociale, c’est un coup dur pour nous, car il n’y a pas d’amélioration en vue. Comment voulez-vous motiver le personnel dans ces conditions-là ? » Tout ce qu’il peut espérer à court terme est le remplacement du containeur vétuste qui devait servir au départ pour deux ou trois ans. Aujourd’hui, il en est à sa septième année. 110 personnes arrivent en moyenne chaque jour pour consommer leur drogue, certains viennent plusieurs fois. Sans le Tox-In, ils devraient le faire sur les parkings, dans les entrées d’immeubles et les aires de jeu. Depuis 2005, 817 contrats ont été signés par les clients de la salle de consommation. Leur identité est donc connue et ils se sont engagés à respecter les règles d’ordre intérieur de la structure. Des mineurs d’âge n’y ont pas droit.

Depuis le début de l’année, il y a eu 51 overdoses où le patient était conscient, quatre ont été retrouvés inconscients. Il n’y a jamais eu de morts, ce qui montre le succès de l’initiative. 83 pour cent des toxicomanes consomment de l’héroïne, 21 pour cent de la cocaïne, cinq pour cent mélangent les deux. Le foyer de nuit, avec les quarante lits, affiche complet et le Kontaktcafé compte 205 usagers par jour. Où iraient-ils s’il n’y avait pas le Tox-In ? 22 pour cent sont très jeunes, ils ont entre 18 et 24 ans. La majorité – 47 pour cent – ont entre 25 et 34 ans, 26 pour cent ont entre 35 et 44 ans et six pour cent sont plus âgés que 45 ans. La grande majorité des usagers sont des hommes, 21 pour cent sont des femmes.

« Maintenant, il faudra voir comment on pourra continuer, ajoute Gilles Rod, nous aurons prochainement une entrevue avec le ministre pour en discuter. » C’est tout ce qu’il a pour s’accrocher. Car le procès en appel prendra des mois. Trouver un terrain qui tienne la route pour y implanter la nouvelle structure ? Cela pourra prendre encore plus de temps. Une première idée avait été de transférer le Tox-In juste en face, sur un terrain vague appartenant à la commune. Ce projet avait été trucidé par les riverains de la Stëmm vu Bouneweg. En outre, il est peu probable que les élus locaux voudront à nouveau se rendre impopulaires en annonçant un nouveau site, à peine 18 mois avant les élections communales.

Lors de la présentation de la stratégie et du plan d’action gouvernementaux 2010-2014, le ministre de la Santé a aussi annoncé l’implantation d’une nouvelle structure pour toxicomanes à Esch-sur-Alzette, mais il n’y en aura pas à Ettelbruck, le bourgmestre Jean-Paul Schaaf (CSV) s’y était d’ailleurs opposé catégoriquement. Alain Origer, coordinateur national « Drogues » au ministère de la Santé parle lui de 2 500 consommateurs de drogues « problématiques » au Luxembourg, c’est une diminution par rapport aux années passées, mais la consommation intraveineuse est en augmentation. Les comportements sont aussi en train de changer. Selon l’expert, la poly-consommation est en hausse : le mélange de plusieurs drogues et substances toxiques, l’abus de médicaments et d’alcool. En plus, les toxicomanes se retiennent moins pour se droguer en public.

Une des soixante initiatives annoncées est l’extension des moyens de substitution et l’administration à court terme d’héroïne sous contrôle médical. Une vingtaine de personnes pourraient participer à ce nouveau programme. Il s’agit surtout de toxicomanes qui n’ont pas réussi à décrocher après plusieurs cures de désintoxication ou qui supportent mal les produits de substitution.

Selon Mars di Bartolomeo, le nouveau programme d’action poursuit l’objectif ambitieux de protéger au maximum les consommateurs aussi bien que la population. Le cœur y est, mais le public ne suit pas lorsqu’il est directement concerné par l’implantation d’une structure d’accueil comme le Tox-In. D’ailleurs, les professeurs et élèves du Lycée technique pour professions de santé doivent patienter eux aussi. Un nouvel établissement scolaire devrait être construit là où se trouve le Tox-In provisoire. Tant qu’il sera là, le lycée ne pourra pas y être construit.

anne heniqui
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