Aaron Swartz, programmeur militant, s’est suicidé la semaine dernière alors qu’il était poursuivi par la justice américaine et risquait jusqu’à 35 ans de prison. Ce dernier chiffre pourrait suggérer qu’il s’était livré durant sa courte vie (1986-2013) à des activités hautement criminelles ayant causé des dommages corporels importants ou des pertes astronomiques à des entreprises. Il n’en est rien. En 2011, Aaron Swartz, dans le cadre de son engagement pour un accès libre aux publications scientifiques, avait illégalement téléchargé des millions de journaux scientifiques stockés sur les serveurs de la base de données JSTOR. Celle-ci n’avait pas porté plainte, après un accord à l’amiable avec Swartz dont l’acte était avant tout symbolique : il s’insérait dans le combat de nombreux chercheurs et scientifiques contre la mainmise des maisons d’édition publiant des journaux scientifiques sur les articles produits par des universitaires dont les salaires sont, la plupart du temps, payés par l’État. S’appuyant sur la loi Computer Fraud and Abuse Act contre la cybercriminalité, la procureure fédérale Carmen Ortiz avait entrepris de poursuivre Swartz.
La mort d’Aaron Swartz a causé une véritable commotion sur le Net. Les projets auxquels il a participé, listés dans un hommage de l’Electronic Frontier Foundation dont il était proche, sont impressionnants : ils incluent les spécifications RSS, qui organisent les flux syndiqués sur le Web, l’Open Library, la licence ouverte Creative Commons et le réseau social de liens et commentaires Reddit. L’EFF brosse de lui un portrait attachant, mettant en avant son intelligence et son courage, son goût de l’écrit et sa passion pour la libre circulation du savoir, sans gommer les aspects difficiles de sa personnalité. L’organisation souligne que s’il avait commis dans le monde physique un acte équivalent à son incursion dans les serveurs de JSTOR, il aurait risqué une peine considérablement plus légère.
Les dizaines d’années d’emprisonnement qu’il risquait n’était dues qu’au fait qu’il avait utilisé un ordinateur pour le réaliser, fait valoir l’EFF, qui réclame depuis des années une réforme de la législation américaine pour mettre fin à cette disparité. L’EFF s’associe à la demande de Lawrence Lessig qui souhaite que cette tragédie serve de base à une réforme de la loi sur la cybercriminalité.
Mais Aaron Swartz n’était pas le seul, loin s’en faut, à vouloir faciliter l’accès aux articles scientifiques protégés par les paywalls des maisons d’édition. Samedi dernier, un mouvement a été lancé par le chercheur en neuroscience Micah Allen pour lui rendre hommage, à travers la mise à disposition sur le Net d’articles scientifiques par leurs auteurs.
L’initiative de Micah Allen, qu’il décrit lui-même sur son blog comme une « campagne de guérilla d’upload de PDF en l’honneur de son combat pour un accès libre », a trouvé un écho remarquable, grâce notamment à Reddit et à Twitter, où elle a été relayée sous le hashtag #pdftribute. Le hashtag donnait lieu sur Twitter à quelque 500 impressions par heure en début de semaine. À raison de plusieurs dizaines par heure, des scientifiques du monde entier publiaient leurs articles sur le web et le signalaient sur Twitter, tandis que l’un d’entre eux, Patrick Socha, listait consciencieusement les liens publiés sur le site pdftribute.net. Dans bien des cas, avec cet acte de désobéissance éditoriale, ces scientifiques risquent les foudres des maisons d’édition qui les ont publiés. Ces maisons ont jusqu’à présent bloqué avec succès toutes les tentatives menées aux États-Unis et en Europe pour assouplir le carcan que leur emprise impose au monde académique. En plus d’une réforme des lois
sur la cybercriminalité que certains ont appelée de leurs vœux après le suicide d’Aaron Swartz, on peut donc aussi au moins espérer que les conditions d’accès aux publications scientifiques changeront après sa mort.
Jean Lasar
Catégories: Chronique Internet
Édition: 11.01.2013