Après avoir acquis Instagram, le réseau social qui a rencontré un remarquable succès en permettant aux internautes de retoucher, commenter et partager des photos à la volée, Facebook s’est trouvé confronté à une difficulté pour transformer ses utilisateurs en cibles publicitaires : l’inscription sur Instagram est un processus des plus rudimentaires et ne permet pas de savoir dans quelle catégorie socio-professionnelle, tranche d’âge ou zone géographique les ranger. Souhaitant obtenir de sa base élargie d’utilisateurs un accord sur le principe d’un croisement des données Facebook et Instagram, le réseau social a alors organisé un suffrage demandant leur accord sur de nouveaux termes d’utilisation autorisant précisément ce croisement des données – avec Instagram mais aussi avec d’autres réseaux intégrés à Facebook.
À priori, louable initiative puisque Facebook a souvent été critiqué précisément pour avoir modifié ses conditions d’utilisation et garanties relatives à la sphère privée en catimini, sans la moindre consultation et en prenant en compte exclusivement ses propres intérêts (Facebook avait déjà recouru à un tel procédé en 2009, collectant 665 000 votes, et avait tenu compte du résultat, qui lui convenait).
Mais l’apparence « démocratique » n’aura pas tenu très longtemps. Facebook avait annoncé que pour qu’il considère les résultats de la consultation comme contraignants, il faudrait que 30 pour cent de ses utilisateurs participent. Le suffrage, annoncé par un email à une partie au moins des utilisateurs et qui s’est déroulé sur sept jours, s’est terminé au début de cette semaine avec la participation de 668 500 utilisateurs. 88 pour cent d’entre eux se sont déclarés opposés aux nouvelles règles. Facebook a aussitôt annoncé deux choses : d’une part, qu’il ne tiendrait pas compte de ces résultats, et d’autre part qu’il n’organiserait plus à l’avenir de telles consultations.
Le réseau social avait placé la barre très haut : il semblait illusoire d’imaginer que 30 pour cent de son milliard d’utilisateurs allaient se donner la peine de glisser leur bulletin électronique dans l’urne. Il était donc clair que le niveau de participation défini par l’état-major du réseau social pour rendre le résultat contraignant était impossible à atteindre. Pourquoi dès lors avoir organisé un tel simulacre de « démocratie participative » s’il s’agissait de superbement en ignorer les résultats ? Et surtout, quelle espèce de reconnaissance espérait Facebook de la part des utilisateurs ayant pris la peine de s’exprimer, si son intention était de passer en force et d’imposer le croisement des données ?
Il y a fort à parier qu’il n’y aura ni explications ni mea culpa : les utilisateurs auront été, une fois de plus, les dindons de la farce, considérés comme cibles publicitaires qu’il faut pouvoir monétiser à tout prix.
Officiellement, il reste un round de consultation qualitative, à travers un dialogue avec le responsable de politique de la sphère privée de Facebook Erin Egan. Implicitement, Facebook traite ceux qui se sont donnés la peine de voter comme de fâcheux activistes jamais contents. Sous peu, les utilisateurs d’Instagram auront donc vraisemblablement l’immense joie de voir apparaître, lorsqu’ils se serviront du service, des publicités sélectionnées en fonction de leur profil et de leur historique Facebook. D’un point de vue strictement capitalistique, rien de plus normal – après tout, Facebook, a déboursé 775 millions de dollars en avril dernier pour Instagram et doit pouvoir espérer rentrer dans ses frais. Dans cette optique, elle peut considérer les utilisateurs comme des vaches à lait dont on soutire les informations pour mieux les abreuver de pubs. Ceux pour qui les réseaux sociaux devraient tenir compte des souhaits de leurs utilisateurs en matière de protection de leur sphère privée vont devoir mettre en place leurs propres plateformes, plus ouvertes et plus respectueuses.
Jean Lasar
Catégories: Chronique Internet
Édition: 07.12.2012