Tout indique que le gouvernement syrien a coupé l’ensemble des connexions Internet vers l’étranger le 29 novembre, un geste qui a fait craindre le pire dans ce conflit sanglant, d’autant plus qu’il a coïncidé avec une fermeture de l'aéroport. C’est la première fois que le régime de Bachar al-Assad opte pour ce blackout généralisé depuis le début de la guerre, un choix techniquement à sa portée parce qu’il contrôle les routeurs chargés de relier les réseaux syriens aux autres réseaux. SI la plupart des internautes ont été affectés par la coupure, il serait cependant erroné d’assumer que le gouvernement a réussi à assécher les flux numériques entre la Syrie et le reste du monde et à entièrement faire taire ceux qui témoignent au jour le jour sur les horreurs des bombardements et exactions auxquelles est exposée la population.
Les données fournies par Akamai, fournisseur de solutions internationales de connectivité, montrent de manière univoque la déconnexion abrupte intervenue sur l’ensemble du pays le 29 novembre peu avant 10.30 heures, après quoi le débit correspond à une droite obstinément plate. Un service de Google a confirmé que le trafic originaire de Syrie a été nul après cette date. D’après Renesys, 92 pour cent des réseaux syriens étaient alors hors service, ce qui semble indiquer que le régime a aussi décidé de bloquer à cette occasion les réseaux internes.
Jamais en reste dans la guerre de propagande, le ministère de l’information à Damas a affirmé que des « terroristes » étaient responsables de la panne et que des ingénieurs du gouvernement s’attachaient à réparer le réseau.
Pour les internautes syriens désireux de continuer de communiquer avec l’étranger, il a donc fallu recourir au système D. Par exemple sortir de l’armoire les vieux modems que l’on branche sur la ligne téléphonique – le réseau téléphonique continuait apparemment de fonctionner, même si selon certains il était lui aussi hors service – avec toutefois un risque accru que les grandes oreilles de Damas interceptent les communications. Ou encore en utilisant de nouveaux appareils que les États-Unis ont mis à disposition des citoyens syriens dans la perspective justement de ce type de situation. Le Département d’État n’a pas précisé la nature technique des 2 000 « kits et équipements de communication » livrés, sauf pour dire qu’ils comprennent des ordinateurs, des téléphones et des caméras et sont conçus pour fonctionner indépendamment des réseaux Internet domestiques syriens et à l’abri des interceptions des services secrets du régime.
Apparemment, les inconvénients résultant de la coupure totale d’Internet se sont avérés trop importants pour le régime lui-même, puisque la connectivité a été rétablie le 1er décembre à la mi-journée.
Pendant la période de coupure, moins d’un millier d’internautes syriens ont réussi à rester en ligne, selon l’informaticien et activiste syrien Dlshad Othman cité par l’organisation EFF (Electronic Frontier Foundation), qui milite pour un Internet ouvert et s’en prend aussi aux régimes dictatoriaux pratiquant la censure du Net. Cette même organisation s’est montrée sceptique quant à la nature sûre des kits livrés par les États-Unis, rappelant par exemple que Damas dispose de la technologie de surveillance des téléphones satellitaires qui lui a permis de tracer et d’assassiner la journaliste Marie Colvin du Sunday Times et le photographe français Rémi Ochlik à Homs en février dernier. EFF recommande cependant aux Syriens disposant d’une ligne téléphonique en fonctionnement d’utiliser le service Speak2Tweet qui permet de dicter les tweets. Elle en a publié les numéros d’appel dans différents pays, signe qu’elle considère que ce service présente aujourd’hui les garanties de sécurité requises. D’un autre côté, impossible de s’assurer que les messages ainsi relayés viennent effectivement de l’intérieur du pays, concède EFF.
Jean Lasar
Catégories: Chronique Internet
Édition: 30.11.2012