Schmithüsen arriva à Luxembourg vers le 20 juin 1940.1 La France venait de capituler et l’état de siège prenait fin. À partir du 6 juillet il apparut aux réunions du mouvement pro-allemand.
Le maître-tailleur Martin Fromes, un nazi de la première heure, parla de lui en ces termes : « Dann folgte die Versammlung im Crédit Lyonnais, wo der gelehrte Herr Schmithüsen an Herrn Kratzenberg den Auftrag erteilte, offiziel an die Spitze der Bewegung zu treten, was von den alten Kameraden von Herzen stürmisch begrüsst wurde. (…) Dann folgte die Zettelkleberei und als erste Nummer stieg der Satz: Mir wölle bleiwen wat mer sin, urdeitsch Muselfranken. (…) Dieser Satz wurde von den Kennern der deutschen Geschichte wohl verstanden. Jedoch von der grossen Masse nicht, da die deutsche Geschichtswahrheit in den letzten 30 Jahren gewusst hierlands gefälscht wurde. » 2
Le journaliste Camille Dennemeyer : « Um den 10. Juli 1940 erschien in Luxemburg ein gewisser Josef Schmitthüsen, Privatdozent an der Universität Bonn, der mir angeblich aus Berlin (von wem, sagte er nicht) den bündigen Befehl übermittelte, meine Liste mit der Kratzenbergs zu verschmelzen. (…) Schmithüsen sagte uns, Kratzenberg sei von Berlin schon 1938 als Führer der Volksdeutschen Bewegung in Luxemburg ausersehen worden. »3
Le professeur Damien Kratzenberg : « In diesen Tagen besuchte mich auch mehrmals der mir bis dahin unbekannte Verfasser des grossen Werkes Das Land Luxemburg, der Bonner Dozent Dr. Schmithüsen, dessen Wissen und Charakter mir bald sehr sympathisch erschien. » Schmithüsen encouragea Kratzenberg : « Es ständen viel mehr deutschfreundliche Luxemburger hinter mir als ich meine. »4
L’inspecteur Staar reçut Schmithüsen à Clervaux. Il aurait menacé de le révoquer comme inspecteur, dit-il. « Dem Schulinspektor Staar übertrug er die Bearbeitung des dortigen Gebietes », dit par contre le Sicherheitsdienst (SD). Staar se retrouva directeur de l’École Normale des Instituteurs.5
L’historien Josy Meyer reçut la visite de quatre émissaires, parmi lesquels son ami et collègue Schmithüsen. Les nazis le tenaient en haute estime à cause de son activité scientifique passée. Ils lui proposèrent les postes de directeur du Musée et de Kulturreferent, il refusa et garda celui d’Abteilungsleiter.6
Le professeur-ingénieur Joseph Lauer accompagna Schmithüsen dans ses démarches auprès des personnalités luxembourgeoises et il organisa une réunion avec Meyers, Mergen et le Prof. Dr. Mathias Zender d’Arlon. « Er kümmerte sich um die Umbenennung der Strassen und gewann mich schliesslich für die deutsche Sache », précisa Lauer.7
Schmithüsen était omniprésent. Il connaissait tout le monde. C’est lui qui recrutait, qui argumentait, qui donnait les ordres, qui instituait et destituait. Schmithüsen nomma Kratzenberg : « Auf Veranlassung seiner Auftraggeber erklärte Dr. Schmithüsen Prof. Kratzenberg zum Landesleiter. » Et il le destitua, momentanément, quand celui-ci n’arriva pas à se faire obéir, expliquant qu’il fallait un homme à poigne, prêt à aller en prison, « was man Herrn Prof. Kratzenberg nicht zumuten könne ».8 Son rôle dépassa manifestement celui que lui attribua Paul Dostert, trop respectueux, celui d’avoir donné des conseils à titre privé.9 Il dictait ce qu’il fallait faire et il disait ce qu’il fallait penser. Il expliquait aux Luxembourgeois ce qu’était un Luxembourgeois, quel était leur identité, leur « Volkstum ».
Qui d’autre aurait eu l’idée d’appeler les Luxembourgeois à se considérer comme des « urdeitsch Muselfranken ? » Il s’agissait de la première action d’affichage de la VdB lancée le 6 juillet 1940, dont le SD attribua la paternité à Schmithüsen : « Die Aktion soll auf Veranlassung von Universitätsprofessor Schmithüsen aus Bonn erfolgt sein.10 » C’est encore lui qui monopolisa la parole lors de la première réunion publique de la VdB, le 18 juillet 1940 à la Brasserie du Théâtre : « Zu Beginn der Zusammenkunft erhob sich Dr. Schmithüsen und hielt eine längere Rede, in der er folgendes ausführte : Durch seine langjährige berufliche Beschäftigung mit dem Lande und den Menschen sei er den Problemen Luxemburgs mit dem Herzen nahe gekommen. (….) Es sei den Luxemburgern durch ihre Erziehung während der letzten 100 Jahre und wegen des Schicksals ihrer Geschichte schwer, den grössten Augenblick der deutschen Geschichte im Bewusstsein seiner historischen Grösse zu erleben. » Les Luxembourgeois seraient « bestes deutsches Bauern- und Arbeitertum », mais leur « Deutschtum » serait enfoui au fond de leur âme. La tâche serait de ramener les Luxembourgeois « zum Bewusstsein ihrer Volkszugehörigkeit ».11
Schmithüsen rassura son auditoire qu’il ne remplissait aucune mission et ne parlait qu’en son nom personnel. Il avait dit l’exact contraire au chef du Sicherheitsdienst de Trèves : « Dr. Schmithüsen ist Dozent an der Universität Bonn und von dieser UK12 gestellt. (…) Auf Veranlassung der volksdeutschen Mittelstelle wurde er von der Wehrmacht eingezogen und in Zivil zur Erfüllung besonderer Aufgaben, die ihm von verschiedenen Stellen übertragen wurden, in Luxemburg eingesetzt. Über seine Auftraggeber erzählte er mir folgendes : SS-Obergruppenführer Werner Lorenz hat den Auftrag, die volksdeutsche Mittelstelle zu leiten. SS-Obergruppenführer Lorenz versteht von der Volkstumsarbeit nichts. (…) Ihm beigeordnet ist der SS-Oberführer Dr. Behrens, der ebenfalls über keine grossen Kenntnisse auf dem Gebiet der Volkstumsarbeit besitzt (!).13 » Schmithüsen se sentait assez fort pour pouvoir traiter le général SS Lorenz et son adjoint Behrens d’ignorants et se considérait lui-même comme le seul véritable expert en « Volkstumspolitik » dans la Grande Allemagne d’Adolf Hitler.
Avant de débarquer à Luxembourg Schmithüsen s’était rendu à Düsseldorf, Cologne et Berlin pour consulter le chef-adjoint du Verein für Deutschtum im Ausland (VDA), Sichelschmidt, le responsable de la Reichsstudentenführung pour les territoires de l’Ouest et le Gauleiter de Trier-Koblenz, Gustav Simon. Après un premier séjour à Luxembourg il repartit le 13 juillet 1940 pour recevoir des moyens financiers plus importants en vue de la création d’un journal qui ne vit jamais le jour. « Zu Beginn der Woche kehrte Schmithüsen mit namhaften Mitteln, deren Höhe mir nicht bekannt ist, nach Luxemburg zurück », nota le SD.
Schmithüsen pilotait depuis 1938 le département de Bonn de la Volksdeutsche Mittelstelle (VoMi) qui avait la haute main sur la Rhénanie et les pays limitrophes de l’Ouest. La VoMi était l’un des Hauptämter des SS, à côté de la Waffen-SS, du Reichssicherheitshauptamt et du Wirtschafts- und Verwaltungshauptamt. Elle disposait d’un budget de cinquante à soixante millions de Reichsmark, égal à celui des Affaires Étrangères. Après avoir absorbé le Verein für das Deutschtum im Ausland (VDA), les Volksdeutsche Forschungsgemeinschaften (VFG) et l’Auslandsorganisation der NSDAP (AO), la VoMi réunissait sous son autorité l’ensemble de la politique ethnique, de germanisation forcée et de déplacements de populations. Elle était chargée de la gestion de la Deutsche Volksliste qui constituait un cadastre ethnique et servit de base aux purifications ethniques à venir.
Schmithüsen avait 31 ans en 1940. Né en 1909 à Aix-la-Chapelle, il avait fréquenté d’abord la Oberrealschule puis la Technische Hochschule Aachen, avant de bifurquer en 1929 vers la géographie physique et économique et de rejoindre à Bonn l’équipe de l’historien Franz Steinbach qui dirigeait la Westdeutsche Forschungsgemeinschaft. En 1933, il reçut une bourse de la Notgemeinschaft der Deutschen Wissenschaft pour étudier la géographie du Luxembourg. Ce travail l’occupa pendant six ans et lui permit de présenter en 1939 un doctorat publié ensuite sous forme de livre. Pendant ces années, Schmithüsen parcourut le Grand-Duché dans tous les sens, accompagné de ses étudiants et se fit de nombreuses relations dans tous les milieux qui n’étaient pas ouvertement hostiles au IIIe Reich.
Peut-on séparer l’activité purement scientifique du géographe d’un contexte politique qui lui aurait été extérieur et surajouté ? Les nazis n’avaient jamais cultivé l’idée d’une science neutre et indépendante. La recherche de Schmithüsen s’inscrivait dans le cadre de la science allemande et adoptait ses concepts et ses objectifs. Les volksdeutsche Forschungsgruppen exerçaient le pouvoir des mots qui faisait bouger les frontières et préparait l’invasion militaire. Cette guerre culturelle a été longtemps ignorée ou minimisée jusqu’à la parution récente d’un livre de Bernard Thomas.14 Les Westdeutsche Forschungsgemeinschaften furent fondées en 1931 à Bingen dans le but de faire face au morcellement de l’Allemagne par le Traité de Versailles. Elles recherchaient le dialogue avec les intellectuels luxembourgeois sympathisant avec l’Allemagne sans avoir nécessairement des visées politiques. Deux Luxembourgeois avaient été invités lors de la réunion à Bingen, l’écrivain Nik Welter et l’historien médiéviste Camille Wampach. Trois colloques suivirent en 1932, en 1934 et en 1936 réunissant intellectuels allemands et luxembourgeois sur les questions d’identité. Steinbach, l’initiateur des FGW, fit entre 1933 et 1939 de nombreuses visites au Luxembourg à l’invitation du Jungbauernbund, du Volksverein, deux organisations catholiques, ou de la Gesellschaft für deutsche Literatur und Kunst du professeur Kratzenberg et il fut le Doktorvater de l’historien luxembourgeois Josy Meyers.15
Dans la préface de son livre (Das Luxemburger Land. Landesnatur, Volkstum und bäuerliche Wirtschaft) Schmithüsen remercia trois personnalités qui lui avaient servi de guide et de relais, Léon Faber, vétérinaire à Mersch, le Dr. Karl Lessel de Grevenmacher, juriste et ancien directeur du Luxemburger Wort, et le Dr. Prosper Colling, curé-doyen de Wiltz. Il dit avoir écrit son livre pour stimuler l’histore et la littérature locale, « mit dem Gedanken die örtliche Heimatforschung anzuregen ». Il cita à l’appui de ses thèses de nombreux auteurs luxembourgeois, les plus souvent cités étant l’écrivain Nik. Welter, l’historien Josy Meyers et le Volkskundler Josef Hess. L’ouvrage de Schmithüsen parut en février 1940, trois mois avant l’invasion, après avoir été expurgé par les services des Affaires Etrangères des passages qui auraient pu choquer ou alerter le public luxembourgeois.
Dans le premier chapitre Schmithüsen reprit les données statistiques luxembourgeoises en effectuant un tri préalable. « Die Gesamtbevölkerung von 296 913 besteht aus mindestens 275 000 deutschen und etwa 21 000 bis 22 000 fremdvölkischen Einwohnern.(…) Unter den fremdvölkischen Ausländern stehen an erster Stelle die Italiener. Die zweitgrösste Gruppe bilden die Juden » (p. 15-16). Le décompte paraissait anodin. Avant même que le pays n’était occupé, les Allemands avaient cessé d’être des étrangers, les Luxembourgeois étaient devenus des Allemands et les juifs luxembourgeois avaient perdu leur nationalité.
L’appartenance ethnique était en premier lieu liée à la biologie : « Neben mittelgrossen, blonden Gestalten erscheinen hier wie in Lothringen und am Oberrhein kleinwüchsige, rundschädlige Menschen mit dunklem Haar und dunklen Augen. Der Anteil des rein dunklen Typus dürfte etwa ein Fünftel der Gesamtbevölkerung ausmachen. In der Stadt ist er grösser als auf dem Lande. Mehr als drei Viertel der Bevölkerung trägt in Schädelform, Haar und Augenfarbe Merkmale heller Rassenelemente. Untersuchungen darüber liegen bisher nicht vor. » (p. 210) Schmithüsen ne s’arrêta pas à cette absence de preuves et rechercha les caractéristiques raciales en remontant jusqu’à l’âge de pierre et jusqu’en Wallonie et dans le Nord de la France pour trouver dans les tombeaux « sicher bestimmbare Skelette hochgewachsener, langschädeliger Menschen nordischer Rassenzugehörigkeit ». (p. 163)
Les paysages naturels et les paysages culturels, permettraient de distinguer « völkische Wesenszüge » comme la présence d’éléments typiques dans la construction des maison et la disposition des villages. « Im volksdeutschen Gebiet von Arel unterscheidet sich die Bauweise nicht wesentlich von der des Grossherzogtums. Überschreitet man im Gutland westlich von Arel die Sprachgrenze, so begegnet man in den ersten wallonischen Dörfern sogleich eine andere Hausform. » Les éléments deviendraient plus disparates à cause de l’absence d’un principe ordonnateur, « der fehlende Sinn für die Ordnung des Gesamtbildes ». Le village ne serait plus l’expression d’une communauté, d’une esthétique commune, « während auf deutschem Boden die Naturverbundenheit des Volkes eine harmonische Einordnung der kulturellen Schöpfungen in das natürliche Landschaftsbild bewirkt. » (p. 266-268)
Schmithüsen était fasciné par la ressemblance de la langue parlée d’un côté et de l’autre côté de la frontière artificielle entre les pays. « Das bedeutet dass die westmoselfränkische oder ‘luxemburgische’ Mundart nach Osten hin keine scharfe Grenze hat. » Ces différences seraient d’importance mineure, tout comme celles existant entre « ein Wiltzer Deutsch, ein Viandener Deutsch oder im Gutland: Diekircher Deutsch, Echternacher Deutsch, Merschertal Deutsch, Areler Deutsch, Escher Deutsch usw. » (p. 217) Les différenciations internes du dialecte luxembourgeois permettaient de relativiser les différences externes.
Les recherches sur le patrimoine culturel, « Lied- und Erzählgut, Brauchtum und Sachgut », étaient un autre aspect de cette parenté ethnique. « Infolge seiner Lage an der Volksgrenze ist der Luxemburger Raum für viele Bereiche des kulturellen Lebens ein Erhaltungsgebiet alten Volksgutes, das sich zum Teil dort noch bodenständig weiterentwickelt. Es ist dort, wie es treffend ausgedrückt worden ist, ein älteres Deutschland erhalten geblieben. Ähnlich wie Lothringen ist Luxemburg reich an schönen alten Volksliedern, ‘Perlen in Muscheln am Rande des deutschen Sprachenmeeres’, die hier länger überliefert worden sind als im Innern des grossen deutschen Volksraumes. » (p. 212)
L’identité culturelle s’exprimerait dans l’âme populaire que Schmithüsen préfère appeler « Volkscharakter » plutôt que caractère national comme les auteurs luxembourgeois. « Wie bei der luxemburgischen Mundart, so glaubt man auch in manchen Zügen des Volkscharakters eine gewisse Verwandschaft zum Niederdeutschen zu sehen. Wir sehen beim Luxemburger weniger das lebhafte Temperament des mittelrheinischen Moselfranken als vielmehr eine gemütliche, heitere Besonnenheit oder auch ruhige, bescheidene Zähigkeit, wie man sie am Niederrhein findet. » On retrouverait ainsi les différences observées pour les paysages: « Auch im Volkscharakter lassen sich Unterschiede in den verschiedenen Landschaften feststellen. Der Öslinger ist wie der Eifelbauer bei der Arbeit langsam und zäh. Er ist fromm, abergläubisch, eigenwillig und wortkarg. » (p. 218) Les habitants du Bon Pays seraient plus ouverts, avec une restriction due à la situation politique. « Als Reichdeutscher glaube ich – abgesehen von der näheren Umgebung des Moseltales – im Gutland mehr Zurückhaltung und Verschlossenheit begegnet zu sein als im Ösling. » (p. 219)
Schmithüsen arrive ainsi aux aspects de décadence qui l’inquiètent, comme l’invasion de la civilisation urbaine et de l’esprit français : « Zum Teil schwebt dem luxemburgischen Bauern unter dem Einfluss der französischen Geisteshaltung bei seiner Arbeit als Ziel ein behagliches Rentnerdasein vor. » (p. 221) Le dernier rempart pourrait être la famille patriarcale. « Das Leben in der Familie ist gegen die Aussenwelt abgeschlossen. Darin liegt ein starker Schutz gegen die Verwelschungseinflüsse. Nach aussen hin, im öffentlichen Leben, nimmt der Luxemburger sehr leicht mancherlei Fremdes an, aber zu Hause bleibt er, was er ist. » (p. 223)
Schmithüsen hésite dans son diagnostic et se demande si le Luxembourg pourra encore être sauvé : « Luxemburg ist altes deutsches Reichsland, aber sein Grenzschicksal hat den Gedanken daran im Lande schwinden lassen. » (p. 16) « Das Gefühl der Zugehörigkeit zum deutschen Volkstum (wird) immer mehr gegenüber einem luxemburgischen Stammessonderbewusstsein zurückgedrängt. » (p. 18) Il reste néanmoins convaincu qu’en définitive les facteurs subjectifs ne seront pas déterminants. « Der Begriff des Volkstums ist wesenhaft und bezieht sich auf die biologische Wirklichkeit der Abstammungs- und Kulturgemeinschaft. Davon muss der Begriff des Volksbewusstseins, der das völkische Zugehörigkeitsgefühl bezeichnet, unterschieden werden. » (p. 211) Pour retrouver ses racines, la société luxembourgeoise devra être arrachée aux influences pernicieuses qui la corrompent. Cela ne sera peut-être pas possible sans une pédagogie un peu autoritaire.
Schmithüsen était parti pour définir l’identité luxembourgeoise. Sa conclusion ne fut pas surprenante. En se tournant vers l’Est il constata une grande ressemblance avec les régions allemandes de l’Eifel et du Hunsrück, de la Sarre et de la Rhénanie. En se tournant vers l’Ouest, il crut apercevoir l’existence d’une ligne de fracture ethnique qui se trouvait assez loin derrière Arlon et Thionville et même peut-être derrière la barrière des Ardennes et des Vosges. Sa théorie s’accordait assez bien avec les plans du IIIe Reich et avec la progression de ses armées. Elles devinrent une sorte de feuille de route pour l’occupant et ses serviteurs.
« Schmithüsens Beratertätigkeit nahm mit der Einsetzung Gauleiter Simons zum Chef der Zivilverwaltung ein rasches Ende », affirme Paul Dostert. La mission de Schmithüsen prit fin dans la mesure où il avait accompli ce qu’il était venu faire, créer un mouvement pro-allemand et forger une argumentation à son usage. Il n’avait pas été envoyé à Luxembourg pour occuper un poste dans l’administration du pays. Il avait écrit le scénario, à d’autres de jouer la pièce.
Le premier discours du Gauleiter, le 6 août 1940 à la Place d’Armes, aurait pu être écrit par Schmithüsen, c’étaient ses idées, ses mots. Si ce n’était pas le cas, quelqu’un a dû l’écrire qui avait lu son livre de façon très attentive : « Das Land Luxemburg ist altes deutsches Siedlungsgebiet. Die Bevölkerung dieses Landes ist deutschstämmig, sie ist moselfränkisch, genau wie die Bevölkerung von Trier und unserem schönen Moselland. Lassen Sie sich daher nicht täuschen von dem äusseren französischem Firniss, der nur künstlich aufgetragen ist. (Starker Beifall). Ich kann Ihnen das versprechen, dieser französische Firniss, diese jämmerliche Tünche, wird in wenigen Wochen spurlos verschwunden sein. (Bravorufe) Es kann der Bevölkerung dieses Landes nicht zugemutet werden, dass ihr deutscher Charakter, dass ihre deutsche Eigenart künstlich verborgen wird unter französischen Inschriften und Bezeichnungen aller Art. (…) Hier in dieser schönen und gepflegten Stadt, hier in diesem Lande, wo jedes Haus und jeder Bauerhof davon zeugt, dass eine rassisch wertvolle, anständige und tüchtige Bevölkerung nach deutscher Art gesiedelt und gearbeitet hat. »16
Les premières mesures, le décret sur l’usage des langues c’était encore lui. Au lieu de faire l’union économique d’abord avec une souveraineté politique limitée ou bien d’interdire les partis tout de suite et d’énoncer un programme fasciste ouvert, le Gauleiter préféra s’attaquer aux symboles et engager une rééducation de la population en recouvrant les murs d’affiches: « Schluss mit dem fremden Kauderwelsch! Eure Sprache sei deutsch und nur deutsch. »17
Schmithüsen n’abandonna pas le Luxembourg à son sort. Début novembre 1940 il fit profiter de son savoir les 212 étudiants luxembourgeois inscrits aux universités allemandes, réunis au château fort de Stahleck pour un Schulungslager. Un mouchard du SD rapporta: « Professor Schmithüsen, der in sachlichen Ausführungen nachwies, dass Luxemburg eine deutsche Kulturlandschaft ist, wurde auf heftigste Weise widersprochen. Bestritten wurde, dass der trierisch-luxemburgische Raum eine Einheit bilde. Der Gedanke, Luxemburg sei etwas Besonderes, wurde immer wieder vertreten. »18 Le chahut fut tel que les nazis sanctionnèrent vingt étudiants considérés comme les meneurs, e.a. Georges Heisbourg, Pierre Pescatore, Camille Linden, Fernand Stoll, Robert Bruch.
Du 28 décembre 1941 au 4 janvier 1942, le Dr. Schmithüsen participa à une formation de niveau supérieur organisée à Schiessrothried dans les Vosges pour des responsables nazis venus de Lorraine, d’Alsace, de Flandre et du Luxembourg.19 Les orateurs étaient Hans-Moritz Klingenburg, Hans Sichelschmidt et Josef Schmithüsen, experts pour la « Volkstumsarbeit » en direction des Pays-Bas, des espaces allémanique (Suisse et Alsace) et moselfränkisch. Schmithüsen avait été entretemps muté à Berlin.
En octobre 1941 un recensement un peu particulier eut lieu au Luxembourg. Trois questions avaient été ajoutées au formulaire habituel, elles portaient sur la nationalité, la langue maternelle et la « Volkszugehörigkeit ». Les organisations de résistance réussirent à annuler le recensement avant le décompte final. Dans les procès d’après-guerre tous les responsables nazis ont témoigné que le recensement avait été ordonné par Berlin et que le Gauleiter n’était dans cette affaire qu’un simple exécutant.
La responsabilité de l’initiative revenait à la Volksdeutsche Mittelstelle et avait pour but de compléter les données statistiques nécessaires pour l’établissement de la « Volksdeutsche Liste » qui avaient obligé Schmithüsen à tant d’approximations pour son livre. Une réunion des « Volkstumsreferenten » eut lieu le 29 septembre 1941 à Berlin sous la direction de M. Luther, sous-secrétaire d’état aux Affaires Étrangères, suivi d’une réception chez Lorenz et Behrens au VoMi. À l’ordre du jour se trouvait une « Bestandsaufnahme nach Ländern ».20 Les indications fournies par la biographie de Schmithüsen21 sont trop fragmentaires pour nous permettre d’affirmer que Schmithüsen en tant qu’expert pour le Luxembourg ait assisté à la réunion ou qu’il ait eu à traiter le dossier.
Après la guerre les juges luxembourgeois ne s’intéressèrent pas à Schmithüsen, dont le rôle et les responsabilités étaient peu connues. Schmihüsen fut arrêté par les Américains. Libéré en avril 1947 il ne retrouva pas son poste à l’université de Bonn, fut un certain temps chômeur, puis chargé de cours à Karlsruhe et envoyé en mission en Amérique Latine. En 1962 il fut pleinement réhabilité et nommé à la chaire de géographie de l’université de Sarrebruck. Ses anciens collègues de la « Volkstumsforschung West » étaient entretemps tous rentrés en grâce. Franz Steinbach, « Kulturreferent » pour la Belgique et le Nord de la France, retourna à l’université de Bonn en 1948, rejoint par Franz Petri en 1961. Friedrich Metz reçut en 1954 la chaire de géographie à Fribourg. Emil Meynen fut nommé en 1953 chef de la Bundesforschungsanstalt für Landeskunde. Le chef de la Volksdeutsche Mittelstelle, le général SS Lorenz fut condamné à 20 ans de prison et relâché en 1954, son adjoint Behrens fut pendu en Yougoslavie.22
Schmithüsen s’intéressait toujours au Luxembourg et aimait beaucoup les étudiants luxembourgeois. « Sein Interesse an Luxemburg war nach wie vor ungebrochen », selon l’un d’eux. Il inspira deux thèses de doctorat, l’une sur la sidérurgie luxembourgeoise, l’autre sur la viticulture de la Moselle. En 1978 il retourna avec deux de ses étudiants luxembourgeois au Luxembourg pour étudier sur place les vieilles maisons paysannes. En 1976, Paul Dostert, étudiant à Fribourg, le consulta pour le travail qu’il préparait sur l’occupation du Luxembourg. Dans le cadre de la collaboration universitaire Sarre-Lorr-Lux Schmithüsen eut la satisfaction de voir réapparaître son ouvrage dans le rayon des œuvres de référence de la salle de lecture de la Bibliothèque Nationale aussi bien que des Archives Nationales.
Après la mort de Schmithüsen en 1985, un jeune enseignant de géographie, Georges Hengesch, lui rendit hommage dans la revue Forum.23 Josef Schmithüsen aurait été l’un des plus grands géographes de son siècle et sa Geographie des Luxemburger Landes serait « ein Meilenstein der geographischen Wissenschaft » malgré quelques passages marqués par l’esprit du temps et que certaines personnes ne lui auraient pas pardonnés. « Als ich vor einigen Jahren den damaligen Direktor des Katasteramtes in Luxemburg bat, mir alte Katasterpläne für eine wissenschaftliche Arbeit an der Universität des Saarlandes zur Verfügung zu stellen, wurde ich schroff zurückgewiesen. Der Grund für die Weigerung, mir alte Flurkarten von luxemburgischen Dörfern zu zeigen, erstaunte mich. Schon 40 Jahre früher hätten sich ‘Geographen wie dieser Schmithüsen’ für unser Land interessiert, und die Folgen dieser scheinbar wissenschaftlichen Forschungen hätten die Luxemburger dann am 10.5.1940 erleben können! »