« On va y arriver ! » Les ministres CSV de la Famille, respectivement de l’Intégration, Marie-Josée Jacobs, et de l’Intérieur, Jean-Marie Halsdorf se sont montrés confiants mardi lors d’une conférence de presse que tout sera prêt en janvier pour le lancement de l’Aide sociale, nouvelle mouture, telle qu’elle a été votée l’année dernière au Parlement. Et même le président du Syndicat des villes et communes (Syvicol) et bourgmestre socialiste de Mondercange, Dan Kersch, était enthousiasmé par la façon dont cette réforme a été mise en musique.
Le fait d’avoir réussi à persuader les communes de se regrouper pour constituer des offices sociaux à partir de 6 000 habitants n’a pas été de tout repos. Il a fallu attendre le mois de juillet pour savoir s’il allait rester des « taches blanches » sur la carte, comme l’avaient craint certains. Et non, « nous avions pris le pari de les laisser libres de se regrouper plutôt que de les mettre devant le fait accompli », explique Myriam Schanck, en charge du dossier auprès du ministère de l’Intégration. Apparemment, les affinités politiques entre les chefs de tribus n’ont pas été importantes. C’est ainsi que Mamer, qui n’offrait jusqu’ici qu’une permanence hebdomadaire de quelques heures, se voit doté d’un des offices sociaux les plus importants du grand-duché, regroupant les communes de Bertrange, Dippach, Kehlen, Kopstal, Leudelange, Mamer et Reckange-sur-Mess – soit quelque 30 000 habitants.
Le ministre de l’Intérieur verrait bien son rêve se réaliser avec la fusion entière de toutes ces communes pour n’en former qu’une trentaine au final. Pour Dan Kersch, au contraire, il s’agit là d’un bel exemple de coopération renforcée qui devrait encourager les communes à se lancer dans d’autres domaines encore, plutôt que de fusionner. D’autre part, il met aussi en garde contre le danger de trop charger les communes, dont la population est plus menacée par la précarité que d’autres. C’est le cas à Esch-sur-Alzette, Differdange, Luxembourg-ville, Wiltz et Ettelbruck. « La réforme permet certes la réduction des dépenses sur certains points, mais il y aura aussi de nouvelles demandes, » poursuit-il en citant l’exemple des frais médicaux. Jusqu’à présent, les offices sociaux jouaient le rôle de tiers payant pour régler les factures, en attendant le remboursement par les caisses de maladie. Or, lorsque cette part sera réduite, il faudra s’attendre à plus de demandes du public. Un autre exemple est le prix de l’eau, en forte hausse dans beaucoup de communes et dont les maires s’attendent à une hausse de demandes de soutien d’ici juin 2011, lorsque les retombées s’en feront sentir.
L’État s’est engagé à couvrir la moitié du déficit des offices sociaux : un poste d’assistant social et un demi poste administratif pour 6 000 habitants, les frais de fonctionnement, le loyer des bureaux, les frais d’entretien etc. Et il règle la moitié des secours à la population. « Lors des embauches, il n’y a pas eu de dumping social comme certains ont pu le craindre ces derniers mois, se réjouit Myriam Schanck, les communes ont pris soin de se doter de personnel qualifié et expérimenté. » Les assistants sociaux de la Croix rouge, qui ont toujours été en première ligne pour parer au plus urgent, continueront dans cette direction au sein des offices sociaux, ils seront toujours chargés d’aiguiller les clients vers les services de la Ligue, responsables de l’accompagnement social à moyen et à long terme, ou d’autres services plus spécialisés comme par exemple l’Office national de l’enfance (ONE), qui est actuellement en préparation.
Le regroupement des offices sociaux se fera certes aux dépens d’une certaine proximité entre les autorités communales et les habitants dans le besoin qui se sont souvent adressés directement aux bourgmestres et aux secrétaires communaux pour obtenir de l’aide. Or, cette démarche avait pour beaucoup quelque chose d’humiliant et les a dissuadés de s’adresser à la commune de peur d’être rapidement considérés comme des mendiants par toutes les commères du village. Dans ce sens, l’anonymat des grandes structures régionales peut présenter des avantages. « Plus de professionnalisme permettra d’enlever l’arrière-goût désagréable de l’Aarmebüro, » souligne aussi Marie-Josée Jacobs.
En même temps, le développement des fichiers informatiques rendra plus difficile le « tourisme social », où des personnes sont perdues de vue et leur suivi social n’est plus possible parce qu’elles ont déménagé dans un autre district. Peut-être aussi parce que certaines communes sont plus généreuses que d’autres. « Le professionnalisme systématique du travail social permettra aussi un suivi plus efficace, précise la ministre de l’Intégration. Si une personne est guidée vers un service spécialisé pour résoudre son problème, les assistantes sociales iront vérifier si elle s’y est vraiment rendue. Cela n’a pas toujours été ainsi, ce qui a aggravé certains cas. »
« Nous espérons que les disparités de la prise en charge parmi les communes se réduiront peu à peu, note Myriam Schanck, l’avantage du nouveau système, c’est que l’État est partie à toutes les conventions, ce qui permet d’uniformiser les secours. Celui-ci pourra aussi mettre en question l’opportunité de certaines dépenses. » Les conventions sont conclues par les autorités communales, les conseils d’administration des offices sociaux et l’État. Or, il faut aussi trouver le juste équilibre entre l’alignement des aides sur un dénominateur commun national et fournir une aide personnalisée, adaptée aux besoins de chacun en fonction de sa situation individuelle.
L’élément clé de la nouvelle réforme est le droit à l’aide sociale. Le gouvernement avait au départ prévu qu’un contrat soit conclu entre les offices sociaux et leurs clients. Cette idée avait été laissée tomber suite à l’opposition du Conseil d’État qui argumentait que le rapport de force entre parties contractantes était déséquilibré. Il reste que les demandeurs d’aide auront un droit de recours auprès d’un conseil arbitral s’ils pensent ne pas avoir obtenu l’aide attendue. Ce qui fait craindre à Dan Kersch que les assistantes sociales seront obligées de se doter d’un conseiller juridique pour les décisions prises.
Mais le fait de devoir expliquer ses décisions et justifier ses démarches peut aussi aider à favoriser le professionnalisme. Myriam Schanck espère que les gens n’intenteront pas de recours pour des broutilles, « juste parce qu’ils trouvent que la somme reçue aurait pu être de cent euros au lieu de 75 ». En même temps, la juriste ne pense pas que les décisions du conseil arbitral mèneront à une véritable jurisprudence dans le secteur de l’aide sociale, car celui-ci n’est pas réglé par des normes précises. « C’est différent du revenu minimum garanti, qui est soumis à des conditions et des critères très clairs et stricts, explique-t-elle. Le droit de recours permettra une réflexion au sein des offices sociaux, plus qu’elle n’aura d’incidence sur la situation des particuliers. »
Il reste maintenant à terminer et à nommer tous les conseils d’administration des offices sociaux – une démarche à l’envers, car le personnel est déjà engagé, les bureaux organisés, les conventions signées. « Il n’a pas été possible d’être juridiquement en règle, concède Myriam Schanck, car si nous avions respec-té les règles à la lettre, nous ne serions pas prêts pour la date butoir. » C’est ce que les ministres acclament comme étant « l’approche pragmatique ». Jean-Marie Halsdorf demande aussi dans ce contexte que tous les conseils d’administration confirment les décisions de nomination en janvier 2011, tandis que Dan Kersch proteste contre de l’interdiction formelle des bourgmestres et échevins de siéger dans les conseils d’administration. Selon Myriam Schanck, le souci a été d’éviter un conflit d’intérêt. L’exécutif d’une commune n’a donc plus à se mêler de la gestion journalière d’un office social. Les conventions entre les communes, conseils d’administration et l’État ont été signées pour un an. Après, il faudra s’attendre à faire peut-être des adaptations.