À quelques jours de la dernière réunion devant finaliser le texte de traité commercial anti-contrefaçon ACTA (Anti-Conterfeiting Trade Agreement) à Sydney, les députés européens ont voté le 24 novembre à Strasbourg une résolution déposée par les groupes démocrates-chrétiens (PPE) et conservateurs (ECR) par 331 voix pour, 294 contre et onze abstentions, saluant l’accord qui constitue « un pas dans la bonne direction ». Cependant, ils demandent à la Commission de confirmer que celui-ci n’aura aucun impact sur les libertés fondamentales et la législation européenne existante.
Ces négociations menées depuis 2008 à huis clos par onze parties (États-Unis, Australie, Canada, Japon, Mexique, Maroc, Nouvelle-Zélande, Corée du Sud, Singapour, Suisse et la Commission au nom de l’UE) ont pour but d’établir un cadre international intelligible permettant d’aider les parties à l’accord dans leurs efforts pour combattre les violations des droits de propriété intellectuelle, notamment la prolifération de la contrefaçon et du piratage, qui sape le commerce légitime et le développement durable de l’économie mondiale. Mais la Chine, d’où provient la moitié des objets contrefaits dans l’UE, ne fait pas partie des négociateurs, ce qui pour certains États rend le traité inefficace.
Deux résolutions s’opposaient, qui chacune mettait en évidence des craintes quant à la conformité du texte du traité avec le droit de l’UE. Le texte doit d’abord obtenir la validation du Conseil puis le Parlement peut exercer, depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, un droit de veto ou d’approbation sur tout accord international. Aussi, l’adoption d’une résolution, en amont, témoigne d’une profonde inquiétude des eurodéputés. Bien que les députés conservateurs « soient pleinement conscients que l’accord négocié ne résoudra pas le problème complexe et multidimensionnel de la contrefaçon », ils valident en quelque sorte le processus de négociation qui n’est pas un exemple de transparence depuis 2008 et le justifie parce qu’il « faut atteindre un bon équilibre, dans les négociations commerciales internationales, entre la transparence et la confidentialité ». En outre, ils prennent pour argent comptant les déclarations répétées de la Commission, selon lesquelles l’accord ACTA « ne modifiera pas l’acquis communautaire en termes d’application des droits de propriété intellectuelle parce que le droit de l’Union européenne est déjà plus pointu que les normes internationales en vigueur ».
En revanche, l’autre résolution présentée par les socialistes, les verts, l’extrême gauche et les libéraux demandait un certain nombre de clarifications et d’études d’impact sur la mise en application de l’ACTA et sur ses conséquences sur les droits fondamentaux, la protection des données, et sur la directive e-commerce, avant que la Commission n’appose son paraphe. Elle a été rejetée à 306 voix pour, 322 contre, 26 abstentions.
Pour les députés Stavros Lambrinidis (S[&]D, Grèce), Françoise Castex (S[&]D, France), « la droite européenne a cédé aux exigences de certains gouvernements et aux pressions des industries culturelles, et ce, au détriment des libertés fondamentales des citoyens européens. Tous les garde-fous que nous demandions à la Commission européenne, après une étude méticuleuse de l’accord, ont été balayés d’un revers de mains par le PPE. Cela va à l’encontre de la déclaration écrite 10/12 adoptée en septembre dernier par le Parlement européen et qui demandait à ce qu’ACTA ne devienne pas un moyen international de régulation de l’internet ». Même déception du coté du collectif de défense des libertés des utilisateurs d’internet, la Quadrature du Net, qui estime que le vote est « un coup dur pour les citoyens européens (…) Le texte adopté ne parvient pas à critiquer le processus d’élaboration de l’ACTA et de ses impacts potentiels sur l’environnement en ligne (y compris la liberté d’expression, la vie privée, l’innovation) et l’accès aux médicaments ». Jérémie Zimmermann, son porte-parole, souligne que « ce vote est une invitation aux citoyens et aux organisations de la société civile pour dénoncer l’illégitimité et dangers de l’ACTA, afin de convaincre les députés de refuser de donner leur adhésion définitive à cet accord ». Aussi, incite-t-il « tous les citoyens concernés par un processus législatif démocratique, la préservation de l’écosystème Internet, la liberté d’expression, la vie privée et l’accès aux soins (à) travailler avec leurs élus pour s’assurer que le Parlement européen ne ratifie pas l’ACTA ». Cependant, un tel revirement parait très improbable.