Les violents conflits sociaux qui ont affecté la France au cours des dernières semaines ont révélé l’inquiétude suscitée chez les salariés français par les conditions de leur départ en retraite. Cette inquiétude est partagée dans d’autres pays de l’Union européenne.
Une récente enquête Eurobaromètre a révélé que 73 pour cent des citoyens de l’UE prévoient une diminution de leurs pensions ou pensent qu’ils auront à travailler plus longtemps ou à économiser davantage pour leurs vieux jours. 54 pour cent des personnes interrogées craignent que leurs revenus de retraite ne soient insuffisants pour vivre décemment ; elles sont majoritaires dans 17 des 27 États membres.
Un même phénomène touche en effet tous ces pays, celui du vieillissement, qui pèse considérablement sur les régimes de retraite existants, qui sont pour l’essentiel des régimes par répartition. En 2008, on comptait quatre personnes en âge de travailler (15-64 ans) pour chaque citoyen de l’UE âgé de plus de 65 ans. D’ici à 2060, ce rapport tombera à deux pour un.
La récente crise financière et économique a aggravé les effets de l’évolution démographique. L’atonie de la croissance économique, les problèmes budgétaires et la détérioration de l’emploi ont montré qu’il fallait faire plus pour renforcer l’efficacité et la sécurité des régimes de retraite.
La plupart des États membres de l’UE ont commencé à réformer leurs systèmes de retraite, avec les difficultés que l’on sait, et en ordre dispersé. Mais l’UE peut soutenir les efforts nationaux accomplis, car permettre aux citoyens européens de disposer, aujourd’hui et demain, de revenus de retraite convenables fait partie de ses missions et de ses priorités.
C’est dans ce contexte que la Commission européenne a ouvert le 7 juillet 2010 un débat public dans toute l’Europe sur la façon de garantir à ses habitants des retraites adéquates, viables et sûres.
Normalement, la conception des systèmes de retraite relève en majeure partie des États membres, mais il existe aussi un cadre réglementaire au niveau de l’UE, qui comporte quatre aspects principaux :
- La coordination transfrontalière des pensions de sécurité sociale, destinée à faciliter la libre circulation et l’égalité de traitement des travailleurs qui changent de pays ;
- L’établissement d’un marché intérieur pour les régimes professionnels financés par capitalisation, et des normes minimales nécessaires en matière prudentielle pour protéger les affiliés et les bénéficiaires ;
- Des garanties minimales concernant les régimes professionnels de pension et les droits acquis, en cas d’insolvabilité des entreprises d’affiliation ;
- Des règles de non-discrimination applicables aux régimes de pension publics et privés.
La situation actuelle pose la question de savoir s’il est nécessaire d’actualiser ce cadre et comment le faire, d’où l’idée de la consultation, lancée à l’initiative commune des commissaires Lázló Andor (emploi), Michel Barnier (marché intérieur et services) et Olli Rehn (affaires économiques et monétaires).
Elle avait comme objectif de recueillir des avis et idées à ce sujet, pour envisager d’éventuelles actions futures au niveau de l’Union. Pendant quatre mois (elle s’est achevée le 15 novembre) toute personne ou organisation s’intéressant au sujet a pu soumettre son point de vue par l’intermédiaire d’un site web destiné à cet usage, en s’appuyant sur un document, appelé « Livre vert », qui proposait en particulier les thèmes suivants :
- Comment garantir des revenus adéquats aux retraités et veiller à ce que les systèmes de retraite soient viables à long terme ;
- comment trouver le juste équilibre entre le travail et la retraite et faciliter une vie active plus longue
- Comment rendre les retraites plus sûres, aujourd’hui et demain, compte tenu de la récente crise économique ;
- Comment faire pour que les systèmes de retraites soient plus transparentes de manière à ce que les futurs retraités puissent prendre en connaissance de cause les décisions relatives à leurs pensions.
Les contributeurs étaient aussi appelés à s’exprimer sur les façons de lever les obstacles rencontrés par les personnes qui travaillent dans différents États de l’UE. En effet, un des principaux objectifs de la Com-mission est de supprimer les obstacles à la mobilité des travailleurs (et des capitaux) qui sont imputables aux dispositifs de retraite, y com-pris aux régimes complémentaires. Les habitants de l’UE doivent pouvoir changer d’emploi facilement et sans subir de préjudice financier au regard des conditions de leur retraite. Ils doivent donc pouvoir accumuler et conserver des droits à pension, sans craindre de les perdre à cause d’un changement d’emploi ou de pays.
La démarche suivie par la Commission avec le Livre vert ne remet pas en cause le rôle des États dans l’élaboration de leurs propres dispositifs : elle considère simplement que, dans les domaines où l’UE est déjà compétente pour légiférer, elle est prête à réviser la législation existante et adopter de nouvelles règles, si elle le juge approprié en fonction des réponses à la consultation.
La légitimité de son intervention dans le débat sur les retraites repose aussi sur le fait que le traité impose aux États membres d’établir leurs budgets de manière à ne pas menacer le fonctionnement de l’Union économique et monétaire. À ce titre, la Commission peut recommander des mesures correctives, y compris dans le domaine de la sécurité sociale, si elle s’avère être la cause des déséquilibres budgétaires.
Par nature un Livre vert (green paper en anglais) ne contient pas de préconisations, puisqu’il est supposé alimenter un débat. Toutefois, le choix des thèmes et leur illustration est révélateur de certaines orientations.
On remarque ainsi que, fidèle à son credo libéral, la Commission est ouvertement favorable au développement des systèmes de retraite par capitalisation.
Concernant le moment du départ à la retraite, elle ne recommande pas explicitement de recul de l’âge légal, la décision de son relèvement incombant aux États membres. Elle reconnaît d’ailleurs le caractère théorique de cette mesure : un peu partout, l’âge réel de sortie du marché du travail est inférieur de deux ou trois ans à l’âge officiel. Mais la Commission encourage les États « à réfléchir à la manière de parvenir à un équilibre durable entre la durée de la vie active et celle de la retraite, ce qui peut être obtenu en travaillant plus mais aussi plus longtemps ». Plusieurs documents et tableaux concluent même à la nécessité d’aller au-delà des mesures d’allongement déjà prises dans la plupart des pays.
La Commission européenne a commencé d’analyser les réponses et à l’occasion d’une conférence tenue à Bruxelles le 29 octobre, peu avant la clôture de la consultation, a promis la publication au troisième trimestre 2011 d’un Livre blanc qui contiendra des recommandations pour le financement des retraites, touchant aussi bien les politiques économiques et sociales que la réglementation des marchés financiers.