Le partage des droits à la retraite acquis par les conjoints jusqu’à la date du divorce est redevenu urgent. Le ministre socialiste de la Sécurité sociale, Mars Di Bartolomeo, vient de présenter une réédition du système communément appelé splitting aux députés des partis de la majorité : « Nous en sommes arrivés à la conclusion qu’il fallait profiter de la réforme du divorce pour faire avancer le dossier afin d’améliorer la sécurité des partenaires conjugaux lors d’un divorce. » Car de nombreuses personnes qui ont arrêté de travailler ou ont continué à temps partiel pour s’occuper du ménage et des enfants sont laissées pour compte lorsqu’elles atteignent l’âge de la retraite. Comme elles n’ont pas ou peu cotisé avant la séparation, elles n’ont pas droit à une pension complète qui leur permettrait de vivre dignement. Cette situation touche majoritairement des femmes divorcées, obligées de demander le soutien de l’État et des offices sociaux. Elles représentent – avec les mères monoparentales – la population la plus exposée au risque de pauvreté qui touche entre-temps treize pour cent des résidents du Grand-Duché.
Or, en 1977 déjà, le Conseil économique et social avait vu venir le danger et avait proposé le partage des droits à la pension entre les époux divorcés. Il fallut attendre 1988 et l’élaboration d’une analyse technique réalisée par l’Inspection générale de la sécurité sociale pour avoir une idée des problèmes concrets qui se seraient posés par l’introduction du partage préconisé. L’ancienne ministre de la Sécurité sociale, Mady Delvaux-Stehres (LSAP), déposa un projet de loi en 1994, projet qui n’a plus réapparu depuis, même s’il n’a officiellement pas été retiré du rôle. L’élément dissuasif a sans doute été l’obligation de cohérence. Jusque-là, personne n’a osé toucher aux fondements de la sécurité sociale, par peur de se retrouver avec un énorme chantier sur les bras.
Le modèle de la sécurité sociale avec les droits dérivés accordés aux conjoints au foyer avait été parfaitement adapté à la situation familiale d’antan. Aujourd’hui, 52 pour cent des mariages sont un échec et les conséquences sont dramatiques pour les personnes qui ont vécu un mariage « traditionnel » en travaillant au foyer et en s’occupant de l’éducation des enfants. Les adaptations des dernières années – comme le financement des cotisations par l’État pendant les années bébés ou le congé parental, l’introduction de la possibilité de contracter une assurance et de l’achat rétroactif de plusieurs années de cotisations, l’assurance obligatoire pendant les périodes d’éducation des enfants ou de soins donnés à une personne dépendante – ont permis de pallier certaines lacunes et de créer des carrières d’assurance complètes. Or, toutes les situations sont loin d’être couvertes.
Le ministre souhaite donc remédier au plus urgent en introduisant le splitting selon le modèle allemand du Versorgungsausgleich, le partage des droits de pension qui ont été acquis pendant le mariage. « Ce n’est pas la panacée, admet-il, mais nous continuons l’analyse de l’individualisation des droits sociaux. Jusque-là, le splitting constitue une étape importante pour améliorer la situation des personnes divorcées qui n’ont pas de carrière d’assurance complète. »
Le ministre compte présenter un projet concret la semaine prochaine. Le 7 mars aura lieu une réunion jointe des commissions parlementaires de l’Égalité des chances, de la Sécurité sociale et de la commission Juridique avec les ministres respectifs Marie-Josée Jacobs, Mars Di Bartolomeo et Luc Frieden. Le sujet de cette réunion portera sur le partage des droits à pension en cas de divorce, sujet qui a été retenu dans le contexte de la journée internationale de la femme. Le Conseil national des femmes (CNFL) est d’ailleurs invité à se prononcer sur le sujet.
La position du CNFL est claire : le splitting n’est rien d’autre qu’une mesure transitoire, dans l’attente de l’introduction de l’individualisation des droits sociaux. C’est aussi l’avis de la présidente de la commission de l’Égalité des chances, Marie-Josée Frank (CSV), qui maintient que le législateur a pour mission de remédier aux injustices, surtout après avoir inscrit le principe de l’égalité dans la Constitution.
Faudra-t-il intégrer les modalités concernant le splitting dans le projet de loi sur le divorce ? Celui-ci vient de réapparaître à l’ordre du jour des députés après avoir passé plus de trois ans à l’ombre. Le ministre préfère parler d’une « introduction parallèle » et laisse les députés décider s’il faut l’intégrer ou non au projet de loi sur le divorce.
Or, le moment est bien choisi car les fractions des partis majoritaires sont sur le point de finaliser leurs propositions d’amendement sur la réforme du divorce. Et un des points majeurs sur lequel les deux partis divergent concerne la pension alimentaire. Le projet Frieden prévoit l’introduction d’une pension indemnitaire à côté de la pension alimentaire traditionnelle, servant à survenir aux besoins élémentaires de l’ex-époux. La pension indemnitaire servirait surtout à lui permettre de maintenir le niveau de vie qu’il a connu pendant le mariage – l’idée est d’indemniser les inconvénients économiques créés par la rupture du mariage. Soutenue par les députés CSV, l’introduction de cette pension indemnitaire permettrait de considérer le fait que l’ex-conjoint a arrêté de travailler pour s’occuper du foyer et de l’éducation des enfants. À l’instar d’un projet de loi déposé en Belgique, les choix qui ont été faits pendant le mariage devraient être considérés pour en fixer le montant.
Le partenaire socialiste n’est pas enthousiaste à l’idée de régler le problème des disparités économiques entre ex-conjoints de cette manière-là et la percée en matière de splitting du ministre Mars Di Bartolomeo n’est sans doute pas due au hasard.
Le Conseil national des femmes s’oppose de son côté avec véhémence à l’introduction d’une telle pension indemnitaire dont le montant est laissé à l’appréciation du juge. « C’est carrément un retour en arrière, commente la chargée de direction du CNFL, Anik Raskin, il est même dangereux de régler la question des pensions dans le cadre du divorce. Le fait de laisser décider un juge aussi bien du montant des pensions alimentaires que des droits à la retraite est précaire. Le juge ne peut statuer qu’en fonction des revenus et des biens existants. Quand on voit la difficulté de beaucoup de personnes à recouvrir leur pension alimentaire, on s’imagine ce que ça va être pour la pension indemnitaire. »
Le même raisonnement vaut pour le splitting. Le CNFL plaide pour son inscription dans le Code des assurances sociales pour justement éviter qu’il puisse devenir matière à négociation. L’introduction dans le Code civil par le biais de la réforme du divorce n’est donc pas la piste à suivre. Anik Raskin plaide aussi pour rendre le splitting obligatoire en cas de divorce: « Ainsi, les partenaires savent dès leur union à quoi ils s’engagent, même dans l’hypothèse d’une séparation. »
Le splitting est un moindre mal, une solution transitoire pour le CNFL qui s’attend depuis des années à une avancée en matière d’individualisation des droits sociaux et met en garde contre une confusion des genres. « Il faut maintenir le principe de verser des cotisations pour chacun des conjoints, quel que soit leur statut, ajoute Anik Raskin, les personnes qui ont un revenu limité devraient obtenir une aide publique. Car de toute façon, l’État doit subvenir aux besoins des personnes qui sont devenus des cas sociaux après le divorce. » Il s’agit donc de créer des droits directs indépendants de tout lien conjugal et de rendre obligatoire le système de cotisations. Le CNFL propose d’utiliser la différence d’impôts dont bénéficient les couples mariés pour financer les cotisations du conjoint ayant abandonné son travail.
Ses représentantes plaident pour le modèle suisse d’individualisation qui est basé sur trois piliers : le principe de cotisation obligatoire pour chacun, qu’il travaille ou non, selon la fortune commune du ménage. Le deuxième pilier a comme base les cotisations tirées de l’activité professionnelle et le troisième concerne l’assurance privée. « En raisonnant par rapport au système luxembourgeois actuel, il serait concevable de répercuter ces cotisations obligatoires au titre des majorations forfaitaires afin de constituer des droits directs suffisants dans le chef des conjoint-e-s n’exerçant pas d’activité salariée, » ajoute le CNFL dans une note sur l’individualisation des droits à pension.
Le ministre Mars Di Bartolomeo affirme vouloir continuer la recherche d’un modèle d’individualisation qui tienne la route : « Nous n’en avons pas encore qui soit sans désavantages pour tous les intervenants, mais je suis confiant que nous allons y arriver. » Dans l’intervalle, il conseille à toute personne qui compte s’unir de négocier les modalités d’une éventuelle continuation de paiement des cotisations bien avant de s’engager au foyer et de quitter le travail. Et de toute manière, le problème pourrait bien se résoudre par lui-même car de moins en moins de femmes souhaitent quitter définitivement leur travail lorsqu’elles fondent une famille. Les mauvaises langues médiront que les politiques restent inactifs en attente de la disparition des dernières ménagères qui auront été assez naïves pour croire que le mariage c’est pour la vie, sans prendre de précautions avant de se mettre en ménage.