Il connaît ses classiques, ça c’est sûr. Si The Big One World, une sculpture en résine moulée datant de 2000, est devenue une icône du jeune art français de sa génération, c’est parce qu’elle est pop et politique à la fois. Populaire, le bibendum goulu, qui est depuis la fin du XIXe siècle l’image de marque des pneus Michelin, l’est désormais au-delà de l’Hexagone. Politique, parce qu’en version Peinado, il est black, couleur chocolat, avec une belle coupe de cheveux afro. Avec une seule œuvre, immédiatement accessible à tous, l’artiste disait toute cette France Black-Blanc-Beur qui ne s’assumait que lors des matchs de foot. Depuis, on savait que Bruno Peinado – né en 1970 dans le Sud, à Mont-pellier, mais qui vit et travaille en Bretagne – était un artiste à suivre. Le Palais de Tokyo à Paris lui consacrait une première rétrospective en 2004, sous le titre Perpetuum Mobile ; six ans plus tard, le Casino Luxembourg l’accueille pour une grande monographie, faite, à l’exception d’une dizaine d’œuvres plus anciennes, de nouvelles pièces.
Où on retrouve forcément The Big One World, mais sous forme de profil en fer 2D, aligné avec sept autres silhouettes de sculptures plus ou moins connues (Sans titre, Second-Hand Daylight, 2010), qui ne sont pas toutes de lui d’ailleurs. Ils les a posées sur le toit de l’aquarium, comme les Ghosts de Simone Decker, en 2004. On est alors immédiatement dans l’univers de Bruno Peinado : du baroque, du métissage, de l’auto- et multiréférentiel, de la théorie sur l’histoire de l’art et la sociologie, mais tout cela avec un art tout à fait accessible, qui fonctionne avec des signes et des symboles de notre imaginaire collectif.
Comme cette vanité, tête de mort sertie de centaines de petits bris de miroirs et tournant sur son axe, éclairée par de puissants spots, dans une black box (Sans titre, Vanity Flightcase, 2005) – à trop la regarder, on perd ses repères, on a la tête qui tourne, aussi bien au sens propre qu’au figuré. Créée deux ans avant le célèbre For the love of god, le crâne serti de 1 200 diamants de Damien Hirst, cette sculpture de Bruno Peinado peut se lire comme une réinterprétation de cette figure éternelle de l’histoire de l’art ou comme un commentaire ou une réappropriation de la mode à porter des vêtements décorés à têtes de mort dès le plus jeune âge parce que l’industrie en a décidé ainsi.
« Tout ce qui est image est souvent considéré comme superficiel et léger, » constata l’artiste lors de la présentation de l’exposition fin septembre, mais que lui veut créer des tensions entre le haut et le bas, s’approprier le reflet d’une chose pour la détourner, la réinterpréter. Les smileys en sont un bel exemple aussi, omniprésents de la cave au premier étage, ou les néons, qu’il utilise à foison, comme « standards » de l’art du XXe siècle. Ce qui l’intéresse, c’est la citation, la « créolisation » du monde, le métissage, le chaos. D’où le titre de l’exposition : Casino – Incaos... L’anagramme de la maison dit la même chose, en italien, chaos se dit casino.
Pour son exposition au Luxembourg, dont l’idée remonte à 2005, lorsque Bruno Peinado exposa un parterre de 7 000 bégonias écrivant le slogan Born to be mild à flanc de colline au bord de la Pétrusse, dans le cadre de l’exposition Sous les ponts, le long de la rivière du même Casino, il voulait opérer de légers glissements, aussi en modifiant carrément l’architecture intérieure et l’aménagement des salles. Les petites failles qui s’ouvrent ainsi, les ouvertures et les déplacements sont la place qu’il offre au spectateur, l’invitant à s’y glisser, à investir les œuvres et toute l’exposition avec ses propres interprétations. « Ce qui m’intéresse, dit-il encore, c’est la multiplicité des points de vue ». D’où son amour pour le chaos et son grand respect pour la diversité des opinions et des lectures de son travail.
Alors que certaines œuvres, notamment les sculptures comme la pomme d’amour (Sans titre, Love Long Distance, 2010) renvoyant vers le mathématicien Alan Turing, célèbre pour avoir percé les codes secrets des nazis, qui s’est donné la mort en croquant une pomme empoisonnée, ainsi que plusieurs sculptures smileys ou néons, agacent par leur côté trop lisse, trop parfait et trop plaisant, à la limite du kitsch, c’est dans son ensemble, dans son ambiance de chaos qui aurait pris possession des lieux, que réside la réussite de cette exposition. Les cloisons détruites et en loques, ouvrant grandes leurs blessures béantes pour accueillir le spectateur, après un petit exercice d’escalade, dans la prochaine salle où les œuvres sont ammassées comme lors d’une vente d’usine, ou ouvrant un petit trou vers un néon dans une salle voisine désaffectée (Sans titre, I’m fine with not knowing, 2010) sont pleines d’humour provocateur. Jouissives.